J’y pense et puis je lis / Mars 2023

Signe des temps, le mot « émancipation » prolifère dans les récentes parutions. Car « imaginer un autre monde possible est l’actualité de notre temps », estime Michèle Riot-Sarcey dans L’Émancipation entravée (La Découverte). Prenant acte de la faillite des anciennes philosophies progressistes, l’historienne défend la nécessité d’une nouvelle élaboration théorique à partir des expériences démocratiques et solidaires actuelles. Cet horizon d’une émancipation réactivée se dévoile dans une foule de livres saluant un bouillonnement en cours, du philosophe François Cusset, auteur de La Haine de l’émancipation. Debout la jeunesse du monde (Tracts-Gallimard), au sociologue Albert Ogien, qui signe Émancipations, luttes minoritaires, luttes universelles (Textuel). Accrochés à un optimisme moins béat que stratégique, ces auteurs écoutent les voix revivifiées des minorités « sociales » (classes laborieuses), « civiques » (femmes, racisés, minorités sexuelles) et « épistémiques » (personnes poussées par les pouvoirs dans un état d’infériorité politique), ainsi cartographiées par Ogien. Ces figures de l’émancipation du XXI^e siècle défendent les principes d’égalité (avoir accès aux mêmes droits), d’autonomie (se donner sa propre loi par la délibération collective) et de dignité (n’être soumis à aucun type d’humiliation), partout où ces dimensions de la vie sociale sont bafouées. Ces luttes, au fondement « d’un universalisme ouvert et pluraliste », veillent à « suturer des liens, à les retisser », selon Cusset. Dans le monde entier, des alternatives se déploient à rebours des cadres usés des institutions. Moins que la promesse d’une libération générale, mais mieux qu’un programme d’insurrection théorique, ce paysage des luttes remet l’horizon de l’émancipation au cœur des vies ordinaires.