L’actualité commentée

Krzysztof Pomian : « L’Europe a soutenu des principes contradictoires. Elle a une responsabilité »

Krzysztof Pomian publié le 5 min

17 février 2008 / Dans les rues de pristina, Des kosovars célèbrent la proclamation d’indépendance du Kosovo par le parlement.

L’indépendance du Kosovo est le dénouement d’une histoire longue et tragique. Fernand Braudel, le grand historien du monde méditerranéen, initiateur avec l’École des Annales d’une nouvelle manière de faire l’histoire, prétendait qu’on ne peut comprendre les événements qu’en les rattachant aux « grands courants sous-jacents, souvent silencieux, dont le sens ne se révèle que si l’on embrasse de longues périodes de temps ». En m’inspirant de Braudel, je dirais que trois temporalités historiques distinctes ont contribué à produire cet événement. Premièrement, le temps long des nationalités pour lesquelles la démographie joue un rôle capital : les Albanais du Kosovo ont une démographie plus élevée que la minorité serbe du Kosovo – ce que Milosevic avait cru résoudre en liquidant le statut d’autonomie des Kosovars. Ensuite, l’histoire conjoncturelle de la désintégration de la menace soviétique qui, de la mort de Tito à la chute de l’URSS en 1991, a été le ciment de l’unité de la fédération yougoslave : à défaut de tenir ensemble, les Yougoslaves risquaient de se faire envahir par l’Armée rouge. Enfin, l’histoire événementielle a vu le nationalisme ravageur de Milosevic croiser le fer avec des Européens indécis qui ont joué aux apprentis sorciers. Face à la désintégration de la Yougoslavie, l’Europe n’a cessé d’associer à une rhétorique de la multiculturalité une pratique politique d’incitation à la scission… Aujourd’hui, seuls les Serbes du nord du Kosovo ainsi que ceux de Bosnie semblent être privés de ce droit à la partition qui leur permettrait de rejoindre la Serbie. Ils paient pour les crimes commis au temps de Milosevic. Mais il y a aussi une responsabilité de l’Europe qui a soutenu deux principes contradictoires : le principe de nationalité et le principe d’intangibilité des frontières. Or soit vous défendez le principe des nationalités et acceptez de modifier les frontières en conséquence, soit vous maintenez les frontières et vous donnez les moyens de faire tenir ensemble des entités plurinationales. Pour le Kosovo, il n’y a sans doute plus d’autre solution aujourd’hui que l’indépendance. Mais ce n’était pas inéluctable. Les temporalités historiques en présence auraient pu déboucher sur un autre scénario.

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