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© Morning Brew/Unsplash

Au carrefour des livres

La raison peut-elle faire sa transition écologique ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 10 janvier 2024 4 min

Alors que la communauté internationale vient de s’engager, lors de la COP28 à Dubaï, pour une  « transition hors des énergies fossiles », trois essais montrent que c’est la raison elle-même qu’il faut réformer pour mettre en œuvre un tel basculement.

 

« La culture rationaliste […] si caractéristique de l’Occident dont elle est indissociable [a] joué un rôle majeur dans la genèse de la crise écologique. » Un rôle primordial même, car, sans elle, le capitalisme extractiviste auquel on attribue volontiers la responsabilité du problème n’aurait pas pu voir le jour. Telle est la thèse défendue, dans une enquête intellectuelle passionnante, par la philosophe écoféministe australienne Val Plumwood (1939-2008). Avec la modernité, la raison a été promue au rang de valeur suprême. Conformément à sa tendance spontanée à produire des oppositions binaires, elle est devenue le critère absolu d’un dualisme mortifère : d’un côté, ceux qui la détiennent (les humains – en fait, les hommes dans un monde où les femmes sont largement tenues à l’écart des choses de l’esprit) ; de l’autre, ceux qui en sont privés (la nature). Plumwood parle d’un « centrisme hégémonique » qui « repose toujours sur la mise en place d’une structure relationnelle asymétrique opposant un pôle primaire – l’Un, le Centre – à un pôle secondaire – les Autres marginalisés ». Cette ligne de partage est immédiatement celle du respect : elle établit « une coupure nette entre les êtres qui sont inclus dans la sphère de la considération morale et ceux qui en sont exclus », ceux qui sont réduits au statut de choses inertes et presque irréelles, que l’être de raison peut traiter, à bon droit, comme il l’entend. « Le dualisme humain/nature [a] contribué à établir des conceptions [qui incitent] l’être humain à prendre ses distances vis-à-vis de cette [autre] sphère, à la contrôler et à se montrer impitoyable à son égard. » Une seule solution, alors, pour échapper à la crise écologique : remodeler de fond en comble notre culture. Contre les abstractions de la raison qui nous rendent insensibles et contre son volontarisme hyperactif qui soumet le monde à ses desseins, il faut, pour Plumwood, réhabiliter la sensibilité à travers laquelle nous nous faisons réceptifs et attentifs à tous les êtres, sans distinction. La raison ne nous sauvera pas, comme le croient certains techno-utopistes ; il faut au contraire la déboulonner de son piédestal.

Pas si vite, réplique Christophe Bouriau, qui fait dans son essai d’une grande originalité un pari audacieux : faire de Kant, le plus grand apologiste de la raison, qui conçoit celle-ci comme le critère de toute dignité, un penseur… de l’écologie ! D’abord, « l’esthétique de Kant alimente une “éthique” environnementale réaliste, reconnaissant à la nature une valeur indépendamment de l’usage instrumental que nous pouvons en faire », une « valeur intrinsèque » qui ne repose pas sur un intérêt égoïste mais sur la satisfaction d’une pure contemplation nous incitant à faire attention au monde. « Il existe un lien chez Kant entre la reconnaissance de la beauté de la nature et le souci de la préserver. » En outre, le penseur de Königsberg est le père d’une vision souvent négligée : « l’approche du “comme si” ». À ses yeux, il est utile en morale d’admettre des postulats que l’on ne peut prouver théoriquement : Dieu, l’immortalité de l’âme, la liberté… Ne fait-on pas un peu la même chose aujourd’hui lorsque nous reconnaissons à un fleuve, à une forêt ou à la Terre une personnalité juridique pour mieux la protéger ? Qu’importe si ces entités ne sont pas « réellement » des personnes, « pourvu que ces propositions servent efficacement des fins par ailleurs reconnues universellement comme bonnes ». Les « fictions juridiques » ont un intérêt pratique, si on les considère comme telles. Et la raison a plus d’un tour dans son sac, pour peu qu’elle apprenne à se connaître !

N’est-ce pas sur elle, d’ailleurs, qu’il faut encore compter pour décrypter les infox et démystifier les déformations idéologiques qui imprègnent les discours sur la crise écologique ? Le nouvel ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz est, à ce titre, un réquisitoire implacable contre une fiction que nous prenons en général pour la réalité : la transition écologique – mot-clé d’une « futurologie hétérodoxe et mercantile » qui « nous empêche de penser convenablement le défi climatique ». Comme le montre très précisément Fressoz, « la transition projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique ». Aucune transition énergétique n’a jamais eu lieu. Les énergies nouvelles ne se sont jamais substituées aux anciennes, elles ont au contraire formé avec elles des « symbioses ». Notre monde en est la meilleure illustration : « L’humanité n’a jamais brûlé autant de pétrole et de gaz, autant de charbon et même autant de bois. » Les fossiles sont partout : dans le béton, dans les plastiques, dans les engrais, dans la sidérurgie. Prendre en charge la crise écologique exige de regarder en face ce tissu global d’intrications plutôt que de se complaire dans l’attente d’un miracle nommé transition.

La raison, on le voit, est loin de constituer un bloc monolithique. Convertie en absolu, laissée seule face à elle-même, tournant à vide, elle risque d’oublier l’extériorité. Mais elle constitue en même temps, dans l’équilibre harmonieux des facultés, un instrument crucial pour penser notre rapport au monde.

À lire
La Crise écologique de la raison / Val Plumwood / Trad. de l’anglais P. Madelin / Postface B. Morizot / Domaine Sauvage / PUF-Wildproject / 496 p. / 28 €
Kant écologiste / Christophe Bouriau / PUF / 180 p. / 16 € 
Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie / Jean-Baptiste Fressoz / Écocène / Seuil / 432 p. / 24 €

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