Le poids des mots
Pratique et humaniste, l’enseignement confucéen propose un idéal de l’homme et un art de gouverner. À travers quatorze termes chinois sont mises au jour les préoccupations du Maître.
C’est à la lumière d’un confucianisme dogmatique et triomphant, déjà fort éloigné de ses origines, que les Entretiens ont été trop souvent lus par une tradition exégétique qui a proliféré dès l’instauration de l’empire centralisé, au IIe siècle av. J.-C., et à laquelle ont emboîté le pas les missionnaires jésuites, premiers « passeurs » de la culture des élites chinoises vers l’Europe à partir du XVIIe siècle. Dans leur toute première traduction des Entretiens en latin, parue en 1687, Confucius est présenté comme le « philosophe des Chinois » dont la pensée pratique sera une source d’inspiration pour ses homologues des Lumières. À partir de cette interprétation initiale, celles qui ont suivi dans diverses langues européennes ont tendu à reconstruire un contenu doctrinal qui ne saurait cependant s’articuler en concepts. Il s’agit plutôt ici de donner quelques mots-clés qui reviennent dans la bouche du Maître au fil des Entretiens et nous permettent d’identifier ses préoccupations principales.
(junzi) l’homme de bien
La visée pratique de l’éducation est de former un homme capable, sur le plan politique, de servir la communauté et, sur le plan moral, de devenir un « homme de bien ». Les deux plans n’en faisant qu’un puisque servir loyalement son prince revient à servir filialement son père. Le mot junzi désigne un « fils de prince », c’est-à-dire l’« homme de qualité », par opposition à l’« homme de peu ». À une époque où l’éducation constitue le privilège d’une élite, Confucius affirme qu’il doit être apprécié à sa juste valeur et assorti d’un sens des responsabilités. Loin de vouloir bouleverser l’ordre hiérarchique, il le cautionne, mais en lui insufflant un sens moral : la responsabilité des membres de l’élite éduquée est de gouverner les autres pour leur plus grand bien. Ainsi s’esquisse le destin politique (au sens large) de l’homme engagé dans « l’apprendre », qui se sent chargé d’une haute mission : prendre part au processus d’harmonisation de la communauté humaine. En somme, « apprendre, c’est apprendre à faire de soi un être humain » : on ne saurait mieux dire qu’être humain, cela s’apprend et cela constitue une fin en soi. L’enseignement confucéen rejoint le constat de nos contemporains : notre « humanité » n’est pas un donné, elle se construit et se tisse dans les échanges entre les êtres et la recherche d’une harmonie commune.
(xue) apprendre
Confucius fut avant tout un maître, et toute sa pensée tient dans son enseignement. Au commencement, il y a « l’apprendre », le tout premier mot des Entretiens, dont la place qu’il occupe chez Confucius correspond à sa conviction intime que la nature humaine est perfectible : l’homme se définit comme un être capable de s’améliorer. Pour la première fois dans une culture aristocratique structurée en castes et en clans, l’être humain est considéré dans son entier. On peut dès lors parler d’un optimisme foncier et d’un pari universel sur l’homme. Confucius ne commence pas par un quelconque endoctrinement, mais par la résolution d’apprendre prise par l’être humain qui s’engage sur le chemin de l’existence.
Il ne s’agit pas tant d’une démarche intellectuelle que d’une expérience de vie. Il n’y a pas de coupure entre la vie de l’esprit et celle du corps, entre théorie et pratique, le processus de pensée et de connaissance engageant toute la personne. L’apprendre est une expérience qui se pratique, qui se partage avec autrui et qui est source de joie, en elle-même et pour elle-même.
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