Les abeilles, le zéro et Heidegger

Martin Legros publié le 3 min

Ces insectes auraient le sens du néant, selon une expérience scientifique. Une dérive anthropomorphique ?

L’homme est la « sentinelle du néant » affirmait Martin Heidegger : à la différence de l’animal rivé à ses pulsions et aux comportements dictés par son espèce, l’humain est en contact avec le néant, et, grâce à cette ouverture, il peut avoir une vue du monde. Ce propre de l’homme est-il en train de tomber ? C’est ce qu’on serait tenté de penser face aux résultats de l’expérience menée sur des abeilles par les chercheurs de l’Institut de technologie de Melbourne (Australie) et du centre de recherche sur la cognition animale de l’université de Toulouse, qui viennent d’être publiés dans la revue Nature

L’équipe a élaboré un dispositif destiné à savoir si les abeilles avaient accès au zéro comme marqueur du rien autant que comme quantité inférieure à un. Ils ont d’abord, grâce à des stimuli, entraîné les insectes à « comprendre » les concepts de « plus que » et de « moins que » : des affichettes blanches sur lesquelles étaient imprimés de un à quatre ronds noirs leur étaient présentées associées à une récompense positive – une solution sucrée – pour les petits nombres et à une récompense négative – une solution amère – pour les grands nombres. Or les abeilles se sont montrées capables d’opter avec régularité pour les affiches présentant les petits nombres de ronds – signe qu’elles avaient « compris » le concept d’infériorité numérique. Dans un deuxième temps, les chercheurs ont intégré une feuille blanche au dispositif (photo). Or c’est cette feuille que les abeilles entraînées à opter pour les affiches avec le moins de ronds ont majoritairement choisie. Dans un troisième temps, enfin, il s’est agi de savoir si la feuille blanche représentait bien le « concept quantitatif de zéro » et pas seulement l’absence de ronds. Ils ont donc confronté une feuille blanche et une feuille comportant deux, trois ou quatre ronds… que les abeilles ont su à nouveau différencier. Selon les chercheurs, elles ont même été capables de faire abstraction des stimuli pour faire un choix réfléchi : « Quand les abeilles furent confrontées à deux séries d’informations conflictuelles, une feuille à deux ronds contre une feuille à zéro rond, alors que l’élément à deux ronds avait toujours été récompensé à l’entraînement et que le zéro était le nombre inférieur correct, les abeilles choisirent majoritairement l’ensemble vide. » Cela démontrerait que « les abeilles ont utilisé à la fois un mécanisme associatif pour choisir deux éléments et un mécanisme fondé sur le concept pour le choix du numéro zéro ».

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