Les animaux ont-ils conscience d’être pris en photo ?

La photo a fait le tour des réseaux sociaux : une dizaine de chiens qui semblent prendre la pose devant l’appareil de Joshua J. Hursman, qui tient le compte Instagram runaround_hound où il publie ses clichés canins. Les animaux comprennent-ils qu’ils sont pris en photo ?

Les animaux qui prennent la pose ont-ils conscience d’être pris en photo ? C’est la supposition que l’on est tenté de faire, au vu des scènes accumulées par le compte Instagram susmentionné. Pourtant, si la conclusion semble s’imposer presque malgré soi, elle ne laisse pas de heurter nos conceptions communes de l’animal, de son rapport au monde et de ses capacités cognitives.

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— WeRateDogs (@dog_rates) May 23, 2023

Essayer de percer ce problème suppose a minima de préciser l’ambiguïté de la question. Que veut-on dire par « avoir conscience d’être pris en photo » ? Sur un premier plan, la question peut-être rabattue sur une autre : les animaux ne sont assurément pas en mesure de comprendre ce qui se passe dans la boîte noire de l’appareil photographique (mais qui, parmi les êtres humains, en connaît le fonctionnement jusque dans ses moindres détails ?) ; pour autant, sont-ils totalement incapables de se représenter ce que produit l’engin ? Sont-ils, en somme, capables de comprendre ce qu’est une photographie, c’est-à-dire une image d’eux-mêmes ?

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Cette première manière d’aborder la question, sous la forme d’une conscience d’image de soi, peut être éclairée à la lumière d’une autre expérience, celle du face-à-face avec un miroir. L’animal est-il capable de reconnaître une image de soi dans un miroir ? Certains le peuvent manifestement, note le primatologue Frans de Waal dans Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? (Les Liens qui libèrent, 2016). En effet, le test du miroir est un classique de l’éthologie, qui permet de déterminer assez précisément si un animal se reconnaît dans la réflexion de lui-même. « Les grands singes […] le font spontanément sur une base purement visuelle », note de Waal. D’autre espèces moins proches de nous y parviennent également, via une médiation. Chez les macaques, « il faut y ajouter une sensation physique. Ils ont besoin d’une marque qu’ils peuvent à la fois voir dans le miroir et sentir sur leur corps, comme un rayon laser qui irrite la peau ou un chapeau fixé sur leur tête. Il ne s’agit plus du test traditionnel de la marque, mais du test de la marque ressentie. C’est seulement dans ces conditions que les singes apprennent à lier leur reflet à leur propre corps. »

Cela étant, puisque l’image photographique est statique, qu’elle interdit ces formes dynamiques de mise en relation, le macaque sera certainement incapable de se reconnaître en photo. On peut étendre la conclusion à la plupart des autres espèces moins habiles encore au test du miroir – les chiens, par exemple, qui pullulent sur le compte runaround_hound. L’on peut même émettre des doutes pour les grands singes, par ailleurs. N’est-ce pas, là encore, la dimension dynamique du face-à-face avec le miroir, le fait de percevoir, sur la glace, leurs propres mouvements, qui permet chez eux l’identification à une figure extérieure ?

Sans pouvoir trancher définitivement, il y a donc sérieuse matière à doute de la capacité des animaux à comprendre le sens d’une photographie. Mais alors, pourquoi prennent-ils la pose devant l’appareil ? Uniquement par dressage et répétition ? Pour dénouer le problème, peut-être faut-il abandonner le plan ontologique (qu’est-ce qu’un animal ? quelles sont ses capacités ?), et glisser sur un autre plan : celui de la relation. Même si un chien ne comprend pas ce dont procède la photographie, il est plus que probable que, confronté à des prises photographiques répétées, il « se passe quelque chose » quand un promeneur sort son appareil. L’appareil est un signal, un déclencheur, qui instaure une situation particulière entre l’homme et la bête.

Chaque situation se déploie sous la forme d’un ajustement dynamique des comportements. Sans doute un chien ne sait-il pas d’emblée ce qu’attend de lui le photographe. Mais il peut certainement apprendre le comportement que la situation requiert de sa part – selon que, au gré des rencontres, les photographes improvisés aient tendance à prendre des clichés ou à se détourner rapidement parce que le chien bouge trop. Les bêtes sauvages, pour qui le contact avec l’homme est exceptionnel, n’ont de facto pas l’occasion de développer ce genre de dynamiques relationnelles. Mais l’on ne s’étonnera pas que des animaux de compagnie, en contact quotidien avec l’homme, en soient capables. Surtout s’il y a une récompense à la clef !