Les mystères de l’identité sexuelle

Alexandre Lacroix publié le 10 min

Les femmes seraient plus douces et manqueraient de sens de l’orientation, les hommes seraient plus forts, notamment en politique et en mathématiques… Des clichés, bien sûr ! Mais si l’on cherche à définir la différence, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un problème scientifique et philosophique d’une difficulté redoutable.

C’est, à première vue, un fait évident et incontournable : il y a des hommes et des femmes. Nous en faisons chaque jour l’expérience. Quand un enfant naît, rappelle le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis, surgissent « deux questions, inéluctables : fille ou garçon ? Comment s’appelle-t-il (ou elle) ? » Le sexe, comme l’état civil, sont posés au fondement même de l’identité de chacun.

Mais cette assignation d’une identité sexuelle au nouveau-né n’est pas sans conséquence. Du point de vue culturel, social, économique et politique, des statuts et des rôles bien précis sont attribués à chaque sexe. Les attentes vis-à-vis de la petite fille ou du petit garçon, tant en termes de qualités personnelles que de carrière, diffèrent : chacun ses habits, sa coiffure, son type de jeux… L’éducation a souvent pour fonction de consolider l’écart, de confirmer la différence.

Plus encore, l’opposition entre l’homme et la femme est un schéma de pensée dont nous avons tendance à faire un usage étendu, voire universel. Dans La Domination masculine, Pierre Bourdieu dresse une liste de contraires : haut/bas, dessus/dessous, devant/derrière, droite/gauche, droit/courbe, sec/humide, dur/mou, clair/obscur, dehors/dedans, etc. Dans chacun de ces couples, le premier terme a tendance à recevoir une connotation masculine et positive, et le second, féminine et négative. Ces observations valent pour la société des Berbères de Kabylie, que Pierre Bourdieu étudie notamment, mais elles ont également une portée plus générale. C’est autour de l’opposition des sexes que s’établit la répartition des choses et des activités au sein de l’espace social. 

Jusqu’à l’essor des mouvements féministes, qui a suivi la parution du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en 1949, le problème des fondements de la différence des sexes a peu ou prou été considéré comme allant de soi. Or, quand les femmes ont commencé à militer pour une égalité de statut avec les hommes, elles n’ont pas seulement posé une revendication politique, elles ont également soulevé un problème philosophique : qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Y a-t-il entre eux une différence d’essence, une inégalité naturelle qui justifierait l’ancienneté et l’universalité de la domination masculine ?

« Le débat est polarisé : soit on s'appuie sur l'absence de critères pour faire voler en éclats les catégories, soit on réaffirme les rôles traditionnels. »

Essayons de passer en revue les critères qu’on a coutume d’avancer pour distinguer l’homme et la femme, et d’examiner leur degré de pertinence. À la naissance ou dès l’échographie, le constat de l’identité sexuelle se fait sur la base d’une observation anatomique. Filles et garçons n’ont pas le même corps : cette règle, ne tenant pas compte des hermaphrodites, vaut pour 4 999 cas sur 5 000. Par la suite, on a tendance à extrapoler cette différence anatomique pour reconnaître hommes et femmes d’après leur allure extérieure. Et l’on ne se trompe pas, sauf dans les cas assez rares de physiques ambigus ou de travestissements. Cependant, -il semble qu’on puisse invoquer un argument biologique plus -puissant que la simple dissemblance : le sexe serait… génétique. -La femme possède deux chromosomes X, l’homme un chromosome X et un autre plus petit, Y. Cette loi générale est néanmoins incomplète. En réalité, le codage de l’identité sexuelle au niveau des gènes est plus complexe qu’on ne le pense et, en tout cas, il n’a rien de binaire : il admet de nombreux cas particuliers, dont certains sont assez répandus dans la population, même s’il ne se traduisent par aucun symptôme. Résumons-nous : chez l’humain, avec les hermaphrodites, il existe trois sexes du point de vue anatomique et, en tenant compte des principales anomalies, huit formules chromosomiques de l’identité sexuelle. Quand nous disons : « C’est un garçon ou une fille », nous procédons donc à une opération de simplification de la diversité naturelle.

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