Les pièges de l'intelligence
Certaines voies de la pensée se montrent séduisantes… avant de s’avérer toxiques. Voici trois pathologies auxquelles peut conduire le maniement inconsidéré des concepts.
La folie : à force de manier les paradoxes, la pensée peut sombrer dans le non-sens.
« L’homme, dans l’état de nature, peut à peine devenir fou et difficilement sombrer dans la folie », écrit Emmanuel Kant dans un petit livre méconnu, l’Essai sur les maladies de la tête. « Ses besoins le retiennent constamment dans la proximité de l’expérience et donnent à son entendement, qui est sain, une occupation si légère qu’il remarque à peine qu’il a besoin d’entendement dans ses activités. » C’est donc bel et bien, selon Kant, les progrès de la société et de l’artifice qui, en sollicitant toujours davantage l’entendement, sont à l’origine des divers désordres psychiques. Ce diagnostic sera confirmé par Sigmund Freud : selon ce dernier, en tant qu’elle exige de l’homme un refoulement toujours plus puissant de ses instincts, la civilisation accroît, en progressant, le nombre des névroses et des pathologies mentales.
Or, la philosophie est l’activité la plus civilisée qui soit. Elle n’a de cesse de solliciter en tous sens la raison, d’écarter l’entendement des évidences du sens commun comme des activités pratiques. Elle incite à rompre les amarres avec le réel et c’est ce qui, en elle, peut promouvoir la folie. Dans Logique du sens, Gilles Deleuze fait l’éloge de ce « devenir-fou » auquel nous invite l’exploration conceptuelle. Il propose de détraquer le sens commun, lequel suppose toujours que les choses sont « limitées et mesurées », qu’elles ont « des qualités fixes, qu’elles soient permanentes ou temporaires ». Le sens commun ordonne le monde, attribue à chaque objet une identité stable et suppose que les phénomènes sont liés entre eux par des relations de cause à effet. Pour Deleuze, c’est là une perspective étroite, et il faut envisager aussi une logique du non-sens qui a la liberté d’affirmer la coïncidence de tous les contraires, le chaud et le froid, le futur et le passé, le plus et le moins, le trop et le pas assez. Cinq nuits chaudes sont cinq fois plus chaudes qu’une nuit chaude, une petite fille qui grandit devient moins petite, donc elle diminue en petitesse : c’est par la prolifération des paradoxes que se traduit le devenir-fou des concepts…
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