Louis Armstrong a-t-il provoqué le big-bang ?
L’Univers est-il une vaste improvisation ?
Pour répondre à cette question, il faut oser penser le cosmos comme un morceau de jazz, prendre quelques notes de métaphysique et redessiner notre carte du monde. Vous êtes prêt ?
Pour moi, l’improvisation a un visage : celui de Louis Armstrong lors de l’enregistrement de West End Blues, le 28 juin 1928, dans les studios de Okeh Records à Chicago. Moment historique ! Âgé de 26 ans, « Satchmo » se lance en ouverture de ce morceau de blues assez plan-plan, et sans en avoir averti ses camarades du Hot Five, dans une extraordinaire cadence solo de quinze secondes. Ce tourbillon musical d’une liberté rythmique et mélodique inouïe condense l’espace et le temps, comme si un voltigeur s’était élancé au-dessus du vide et avait réussi à suspendre, un instant, les lois de l’attraction. Ce jour-là, Armstrong met le jazz sur le chemin de l’improvisation et révolutionne l’histoire de la musique.
C’est dire que l’improvisation me semble relever du domaine de l’art, de la liberté créatrice de l’artiste, et plus spécifiquement de l’art moderne, qui n’est plus sommé de représenter l’ordre harmonieux et parfait de la nature. Car l’art moderne ouvre, comme le dit Maurice Merleau-Ponty, à l’idée d’« une vérité qui ne ressemble pas aux choses, qui est sans modèle extérieur, sans instruments d’expression prédestinés, et qui soit cependant vérité ». Or la condition première de l’ouverture d’Armstrong est sans doute l’acceptation de l’inachèvement de la création. Si le jazzman a l’audace de proposer une ouverture aussi intempestive pour West End Blues, c’est qu’il a le sentiment que la composition de son ami King Oliver manque de ce grain de folie qui permet d’en faire un nouveau commencement pour la musique. Tant que subsistait l’idéal de l’œuvre achevée, parfaite, l’artiste était soumis à l’idée que ce qu’il produisait devait correspondre à un modèle et que l’aboutissement de son œuvre se jugeait à son degré de conformité à ce modèle. À l’inverse, l’artiste moderne est celui qui, comme le dit Paul Klee, s’adonne à une « déformation apparemment arbitraire des réalités naturelles ». Et Klee d’ajouter cette formule intrigante : « Il s’autorise alors à penser aussi que la création ne peut guère être achevée à ce jour […] reconnaissant ainsi à la genèse une durée continuée » (Théorie de l’art moderne, 1956).
Métaphysique et liberté
L’improvisation, que je me figurais être la prérogative de l’artiste moderne, serait-elle inscrite, depuis l’aube des temps, au cœur de l’Univers ? L’hypothèse fait surgir des souvenirs de lecture, celle du Timée où Platon forge l’idée d’un dieu créateur qui façonne le monde à partir d’idées mathématiques. Ou celle du Traité de la nature et de la grâce de Malebranche, opposant la figure du dieu qui agit « selon son caprice et son bon vouloir » à celui qui gouverne par « volontés générales » et rationnelles. Mais je me sens trop pressé pour me replonger dans ces œuvres difficiles. Et je recours à un atout maître : j’envoie un e-mail à mon ami le philosophe Francis Wolff, longtemps « gardien du temple » à l’École normale supérieure. Je le sais féru de musique autant que de métaphysique. Et je suis convaincu que cette interrogation au carrefour des deux domaines ne peut le laisser indifférent. « Francis, le concept d’improvisation existe-t-il en métaphysique classique ? Est-il concevable de penser que l’Univers fait place à l’impro ? »
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