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Mercredi 22 mars, des centaines de manifestants avancent rue Poulet en direction de Montmartre, lors d'un rassemblement spontané. © Ariane Nicolas

Manif sauvage, démocratie sauve

Ariane Nicolas publié le 24 mars 2023 4 min

Depuis quelques jours, des manifestations "sauvages" se déroulent à Paris. Ariane Nicolas s'est glissée dans un de ces cortèges spontanés et très mobiles, qui témoignent, selon elle, davantage de la vitalité de la démocratie que d'une menace pour la société.


« Mercredi soir, 19 heures, sur le canapé jaune soleil de mon appartement parisien. La télé informe : “Plusieurs manifestations sauvages émergent dans la capitale.” Des centaines de personnes exasparées par le 49.3 sortent de chez elles. Un slogan : “Ne nous regardez pas, rejoignez-nous !” La clameur du poste se confond bientôt avec celle de ma rue. “Diable, ils sont à côté !” Trousseau de clés, portefeuille et carte de presse, je fonce les rejoindre. Pour aller où ? Qu’importe, l’aventure commence.

Dans ce cortège impromptu, aucune pancarte dressée ni leader identifiable. Nous marchons à l’improviste, portés par la grâce du crépuscule. Rue des Poissonniers, rue Poulet, esplanade de Montmartre, Notre-Dame-de-Lorette, rue Rossini… Nous formons un ruisseau humain dont Paris est le lit. À chaque croisement, une brève interrogation : faut-il poursuivre tout droit ? à gauche ? Et l’on repart de plus belle. La joie éclaire les visages, le flot de manifestants gonfle au fil des harangues : “Paris, debout, soulève-toi !” Certains quittent les terrasses ou leur domicile, d’autres filment en retrait. Les touristes, nombreux dans ce quartier, nous scrutent d’un air abasourdi.

Depuis le recours au 49.3, lundi, ces “manifestations sauvages” rythment les soirées à Paris. Un phénomène nouveau, particulièrement difficile à gérer pour les forces de l’ordre. Des individus se donnent rendez-vous via des messageries sécurisées, un attroupement se forme ici ou là, et la déambulation commence. Ces petites foules, fluides et agiles, peuvent se disloquer au contact des CRS et se reformer 200 mètres plus loin. Parfois, et ce fut le cas mercredi, elles finissent encerclées par les gendarmes mobiles. “Qu’est-ce qu’on est serrés, au fond de cette nasse !” chantent alors ces “sardines” privées de nageoires, sur un air de Patrick Sébastien. Pas grave, d’autres poissons frétillent déjà du côté de Bastille, nous dit-on.

J’ai couvert de nombreuses manifestations en tant que journaliste et défilé en tant que citoyenne à de multiples reprises. Jamais, toutefois, je n’avais toutefois assisté à de tels surgissements populaires, où un élan démocratique inédit semble animer les corps et les esprits. Bien sûr, ces personnes protestent en partie contre Emmanuel Macron, lui reprochant d’avoir préféré le passage en force plutôt que le vote du Parlement pour la réforme des retraites. Mais la geste démocratique de ces néo-marcheurs va plus loin. Sans violence, sans provocation, sans programme non plus, ils expriment simplement leur aspiration à retrouver une démocratie vivante et vivace, face aux blocages institutionnels critiqués jusque dans le camp du président de la République.

Le terme de “sauvage”, employé ici, pourrait faire peur. On considère souvent, il est vrai, que l’institution politique se forme contre un état de nature associé à la sauvagerie – les procédures régulatrices démocratiques nous sauveraient d’un funeste désordre. Le philosophe Claude Lefort, grand théoricien de la démocratie, critique du stalinisme et des pensées conservatrices, n’est pas de cet avis. Relisant Machiavel dans le contexte des années 1970, il estime au contraire qu’au fondement de toute société, sourd une division originaire qui ne peut jamais être comblée et qui génère de l’instabilité. Mais cette instabilité, loin d’être nuisible au corps politique, s’avère utile : selon Claude Lefort, seul un régime totalitaire peut aspirer à la réconciliation de la société avec elle-même, comme s’il existait un supposé stade terminal de la pacification sociale. Un régime démocratique doit donc prendre acte de cette division première et la mettre au profit des institutions.

L’imprévisibilité irréductible à toute démocratie, Claude Lefort la nomme “démocratie sauvage”. Ce désordre, plus ou moins palpable, agit comme un courant marin qui fait vivre l’idée de liberté : “Là où la sensibilité au droit se diffuse, la démocratie est nécessairement sauvage et non pas domestiquée” (Éléments d’une critique de la bureaucratie). Incertitude, indétermination, volatilité de l’expression démocratique sont les ferments d’une société en bonne santé. Nous assistons ainsi, depuis quelques jours, à ce “théâtre d’une aventure immaîtrisable, telle que ce qui se voit institué n’est jamais établi, où le connu reste miné par l’inconnu et le présent s’avère innommable” (L’Invention démocratique). Bien que “sauvages”, les cortèges qui font irruption le soir ne me semblent donc pas menacer la démocratie ; ils témoignent plutôt d’une nouvelle forme d’action qui, à défaut d’avoir une orientation claire, donne au moins le sentiment que tout n’est pas en train de sombrer. »

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