Pierre Manent : “Le sens du rapport Sauvé est clair : il s’agit d’affaiblir le plus possible la constitution intérieure de l’Église”
« Méthodologie défaillante et contradictoire », « a priori idéologiques », « théologie morale périmée »… Huit membres de l’Académie catholique de France ont récemment fait paraître une note critiquant les conclusions statistiques et les recommandations du rapport Sauvé sur les actes pédophiles dans l’Église, qui faisait état de 330 000 victimes estimées d’abus sexuels depuis les années 1950. Le philosophe Pierre Manent, qui a participé à la rédaction de cette note qui a suscité de vives réactions jusqu’au sein de l’Église, a accepté de répondre à nos questions pour étayer sa prise de position polémique. Il dénonce une volonté de placer l’institution ecclésiale sous la « tutelle de toutes sortes d’acteurs sociaux et idéologiques » et livre une charge virulente contre le rapport Sauvé et les médias.
Le rapport Sauvé avançait le chiffre d’“au moins 330 000” victimes de pédophilie dans l’Église – ce que conteste l’analyse critique à laquelle vous avez contribué. Quel est, selon vous, le problème avec ce chiffre ?
Pierre Manent : Je ne doute pas – et je n’ai pas entendu un catholique douter – de l’étendue et de la gravité des faits de pédophilie dans l’Église. Je juge nécessaire et salutaire de mettre au jour, de la manière la plus précise et la plus complète possible, la réalité des faits lorsqu’ils sont documentés et avérés. Je ne vois pas, je l’avoue, quel bon propos est servi quand on prétend rassembler la totalité du phénomène dans un chiffre unique et aventuré qui multiplie par 20 ou par 50 le nombre initial des cas vérifiés. En tout cas, le sens du chiffre que vous venez de rappeler est inséparable de la manière dont il fut présenté et des suites qui lui furent données. Ce chiffre fut annoncé comme le condensé et la conclusion du travail de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Il fut présenté et tout le monde le prit – moi y compris – pour une addition méticuleuse et exhaustive des cas avérés. Or, dès qu’on considère la manière dont le chiffre a été obtenu, le moins que l’on puisse dire est qu’il apparaît très conjectural, résultant d’un ensemble de choix méthodologiques dont plusieurs semblent mal convenir à l’objet de la recherche. C’était inévitable dès lors que l’on ne voulait pas se contenter de documenter les faits avérés en nommant victimes et coupables ainsi que les circonstances du crime, comme cela a été fait, je crois, en Irlande (mais a exigé là-bas une enquête de dix ans). Si la Ciase tenait absolument à donner un chiffre global – ce qui à mon sens était déjà une erreur – elle devait mettre en garde le public sur son caractère conjectural, indiquer une large fourchette, etc. Elle a fait exactement le contraire, encourageant le public à prendre le chiffre à la lettre, si j’ose dire. Elle savait le pouvoir d’un tel chiffre sur un sujet pareil, elle l’a lancé dans l’opinion, les médias l’ont fait retentir. Ce seul fait trahit je ne dis pas une mauvaise intention, du moins une intention, qui s’ajoute à celle d’établir la vérité des faits, dont je ne doute pas. L’intention que je discerne, c’est celle de justifier la « recommandation » que l’on adresse à l’Église de « reconnaître » le caractère « systémique » de la pédophilie en son sein (Recommandation 24). À l’énormité du chiffre répond le caractère écrasant du verdict qui s’impose alors de lui-même. Et une fois le verdict rendu, plus rien ne s’oppose aux recommandations de « réforme » de l’Église fort radicales, et à mon sens très dommageables.
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