Marc Crépon : “Pour un agriculteur, la violence est de ne plus pouvoir faire confiance ni au consommateur, ni à la nature déréglée”

Pour Marc Crépon, le mal-être des exploitants agricoles serait loin d’être seulement économique et témoignerait d’une profonde « crise de la confiance » : envers une société qui ne considère plus ses paysans, d’une part, mais aussi envers une nature déréglée qui les trahit et à laquelle ils ne parviennent plus à faire confiance. Selon le philosophe, notre incompréhension commune de leur souffrance serait la source d’un profond malaise existentiel au sein des exploitations agricoles.

La révolte actuelle du monde paysan en France, comme d’ailleurs dans de plus en plus de pays voisins du nôtre, porte sur l’augmentation du prix du gazole non routier (GNR) utilisé pour les machines agricoles… Mais n’a-t-elle pas comme origine un mal-être plus profond ?

Marc Crépon : Comme dans toute contestation, il y a toujours une mesure qui agit comme un détonateur et qui constitue un vecteur de mobilisation. De la même manière, en 2018, la révolte des Gilets jaunes avait été déclenchée par une hausse des taxes sur les carburants. Mais le malaise vient évidemment de beaucoup plus loin. On dit souvent, à tort, que le monde agricole est un secteur « en souffrance ». L’expression est insuffisante. Le monde agricole n’est pas seulement en souffrance, il subit une véritable violence. Les chiffres font état d’un suicide d’agriculteur tous les deux jours dans notre pays, soit 180 personnes par an. Selon la MSA, la sécurité sociale agricole, on trouve 31% de suicides en plus chez les agriculteurs que dans le reste de la population. Cela dure depuis les années 1960 sans que les politiques, les industriels ni même les consommateurs n’aient encore réagi à la hauteur de cette tragédie.

“Le monde agricole n’est pas seulement ‘en souffrance’, il subit une véritable violence” Marc Crépon