Marcel Conche, disparition d’un enraciné
Marcel Conche s’est éteint le 27 février. Le philosophe s’en est allé un mois avant de fêter son centenaire. Trop symbolique ? Peut-être. Disciple d’Épicure et de Montaigne, le métaphysicien athée évitait en tout cas les fétiches et les idoles – du destin à Dieu en passant par l’au-delà. « Il n’y a rien après la mort : je disparais, je m’évanouis, la vie s’arrête. » Raison de plus pour jouir de l’existence ! Joie peut-être tragique, et qui cependant ne cède rien à la déploration. Retour sur une philosophie singulière qui place la nature en son centre.
- Fils d’agriculteur corrézien, orphelin de mère peu après sa naissance, Marcel Conche commence ses études dans l’enseignement supérieur à la faculté de lettres de Paris en 1944, où il a notamment Gaston Bachelard comme professeur. Il obtient, dans la foulée, une licence et un diplôme d’études supérieures en philosophie, et passe avec succès l’agrégation en 1950. Commence une carrière d’enseignant qui, de Cherbourg à Versailles en passant par Évreux et Lille, le conduit finalement à l’université Paris I, où il a pour collègues Vladimir Jankélévitch, Jacques Bouveresse ou encore Sarah Kofman. Son oeuvre riche compte notamment Orientation philosophique (Mégare, 1974), La Mort et la Pensée (Mégare, 1973) ou encore Présence de la nature (PUF, 2001).
- Issu d’un milieu catholique, Conche développe une métaphysique profondément athée, nourrie de sa lecture des présocratiques, de Nietzsche ou encore de Heidegger, qui n’abandonne pas pour autant la question d’un au-delà de la matière, d’un absolu. Mais cet absolu n’est pas Dieu. « La nature, pour moi, c’est l’absolu », affirmait-il ainsi dans nos colonnes. Non la nature « au sens moderne », opposée « à l’histoire, à l’esprit, à la culture, à la liberté », ou réduite à la matière, mais la nature dont les Grecs eurent le pressentiment sous le nom de physis (φύσις, « ce qui croît »). « La physis grecque ne s’oppose pas à autre chose qu’elle-même. […] La physis est omni-englobante ». Elle est puissance hyperinfinie et essentiellement « créative », éternelle et en perpétuel changement, sauvage et tout à la fois créatrice, une et infiniment multiple. Elle déjoue toutes les oppositions, à commencer par celle fondatrice de l’être et du devenir : « Tout étant porte en lui la négation de lui-même, et cette négation est le temps. Rien qui soit toujours là, sinon cela même ». « La nature avance en aveugle, comme le poète, elle improvise et on ne sait ce qu’elle fait qu’après qu’elle l’a fait. »
- Cet absolu, qui est le sujet même de toute philosophie, demeure à jamais inépuisable. C’est vers lui que tendent toutes nos paroles, toutes nos pensées, qui ne parviennent jamais à en faire le tour. Telle est la raison de l’inachèvement fondamental de toute métaphysique. « La philosophie comme métaphysique, c’est-à-dire comme tentative de trouver la vérité au sujet du tout de la réalité, ne peut pas être de la même nature qu’une science. Elle est de la nature d’un essai, non d’une possession : il y a plusieurs métaphysiques possibles, parce qu’on ne peut trancher quant à ce qui est la vérité au sujet de la façon de concevoir la totalité du réel. » La philosophie ne démontre jamais, elle ne peut que méditer ce mystère qui s’adresse au fond à tout homme. « Tout individu humain a vocation à devenir philosophe. »
- Si la nature est la question de l’homme, c’est que « l’homme est une production de la nature », et que « la nature se dépasse elle-même dans l’homme » : « La nature a créé l’homme ; elle s’est supprimée – conservée […] dans l’homme, être libre », comme l’explique Conche dans un article de synthèse de son approche « Le naturalisme philosophique » (in : Raison présente, 2011/1). Sa loi d’airain, sa surpuissance originaire, finit pourtant par rattraper l’être humain. L’homme meurt et regagne la « fluence » anonyme de l’être devenant. Cette absorption du tout aura tout de même laissé, à Marcel Conche, un siècle d’une vie de sagesse bien remplie. En 2006 déjà, dans Avec des “si”. Journal étrange (PUF), il écrivait : « La mort, donc, vous fait d’autant plus de mal qu’elle vous prive de plus de vie. […] Si je meurs maintenant, je ne perds pas grand-chose. »
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