On marche sur la tête
« Le mouvement de protestation des agriculteurs a commencé dans le Tarn avec un slogan : “On marche sur la tête”, accompagné de l’inversion des panneaux de signalisation des bourgs et villages. J’aime beaucoup ce slogan, il devrait être planétaire. Quant à l’inversion, elle dit très simplement et avec force : je ne sais plus où j’habite. Je n’ai plus les pieds sur terre. Et c’est le cas de beaucoup d’entre nous.
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J’aime le slogan mais moins la FNSEA. Elle est dirigée par un Rousseau qui n’est pas Jean-Jacques mais Arnaud, céréalier et président d’Avril Gestion, 4e groupe agroalimentaire français : c’est un peu comme élire Carlos Ghosn à la tête de la CGT chez Renault. Associée aux Jeunes Agriculteurs à l’origine du mouvement, la FNSEA a largement contribué à l’interrompre en décembre après avoir obtenu du gouvernement qu’il renonce à la hausse des taxes sur les pesticides et l’irrigation : on marche sur nos têtes ?
Toujours est-il que les syndicats, FNSEA en tête, sont désormais dépassés par l’ampleur du mouvement et la puissance d’un slogan qui exprime un désarroi profond face aux paradoxes de notre temps : comment concilier modèle agricole et nécessité environnementale ? Comment éviter fiscalité écologique punitive et non-respect de l’environnement ? Comment trouver un langage commun entre Lilliputiens des champs et géants de l’agrobusiness, bouseux et bitumeux, écolos et productivistes ? Mais surtout, surtout, comment parler de la terre que remuent les paysans quand on ne l’a jamais retournée, fût-ce à la recherche d’un lombric ?
Le philosophe Michel Serres avait appris dans son enfance à travailler la Garonne avec son père, la terre agenaise avec sa mère. Il s’était exprimé à l’Unesco sur la condition paysanne – c’était en 2002 : “Avant tout, je dis aux paysans que je les plains, sans la moindre condescendance. Ils font un métier difficile, encore plus difficile qu’il ne l’a été autrefois, même s’il est devenu aujourd’hui moins pénible, un des métiers les plus difficiles avec celui d’enseignant et celui de médecin. Ces trois-là œuvrent sur le long terme, ils aident les humains à se forger un avenir. Cependant, ils agissent dans un monde manœuvré par les hommes du court terme.” Dix ans plus tard, il notait avec regret qu’un enfant d’aujourd’hui “n’a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée […] Il ne vit plus en compagnie des vivants”. Il se creuse d’abord là le fossé avec des agriculteurs qui, à raison, se plaignent à la fois d’un manque de reconnaissance et d’une perte de sens. On marche sur la tête si l’on perd ce lien organique de l’enfance avec les ombilics d’une motte de terre, les dytiques d’une mare ou les mûres d’un roncier. Ou plutôt, on oublie qu’il y a une autre façon d’être au monde. “Celui qui marche sur la tête, remarque le poète Paul Celan, il a le ciel comme un abîme sous lui.” Il suffit de se pencher sur la flaque d’un chemin forestier pour y voir, et le ciel, et le petit peuple de la boue et de l’eau. L’école buissonnière n’est pas moins importante que celle de la République. »
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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