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Autour d’une notion

L’inflation, un désordre “cosmique” pour Hayek

Antony Chanthanakone publié le 03 juin 2022 5 min

5,2% d’inflation en mai 2022. Et c’est parti pour durer… a annoncé le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, qui ne prévoit une baisse du phénomène qu’à partir de fin 2023. L’inflation augmente, le pouvoir d’achat diminue : cette logique, les Français la connaissent bien, et ils s’en montrent d’autant plus inquiets que ses effets sont palpables, avec des prix dans les rayonnages qui ne cessent de monter. Mais au fait, comment fonctionne vraiment l’inflation ? Est-elle une fatalité ? Et que nous dit-elle du marché ? Éléments de réponse avec le célèbre économiste Friedrich Hayek (1899-1992).

 

Pour l’économiste austro-britannique Friedrich Hayek, le marché est affaire de métaphysique. Reprenant une distinction héritée des Grecs, il croit en l’existence de deux grands types d’ordres : des ordres spontanés (« kosmos », κόσμος), et des ordres confectionnés (« taxis », τάξις). Sa thèse est de dire que le marché est un kosmos, c’est-à-dire un système avec une pluralité d’éléments et d’informations mais qui ne se coordonnent pas entre eux grâce à un ordonnateur. Dès lors, la question est la suivante : ne vaudrait-il pas mieux ordonner tous ces éléments par l’institution d’un grand ordonnateur (comme un État) ? Pour lui, celui-ci est contreproductif, car il est impossible de connaître toutes les aptitudes de tous les producteurs potentiels, il est difficile de savoir l’état des ressources et des savoir-faire, et enfin, les besoins des consommateurs ne peuvent être connus d’avance.

De là, intervient l’idée centrale de la pensée hayekienne : le marché fait mieux qu’un grand ordonnateur car, par le truchement des prix, qui sont comme autant de signaux, les agents ont une meilleure connaissance des informations requises pour faire des choix. Le prix, sorte de langage du marché, donne une information claire de la disponibilité ou de la rareté des ressources et des besoins à satisfaire.

En conclusion, l’inflation, entendue comme une augmentation des prix, doit d’abord se comprendre comme une conséquence de la raréfaction des ressources. Toutes choses égales par ailleurs, s’il y a moins de matières premières, alors la demande est plus élevée que l’offre ; donc, les prix augmentent. Aujourd’hui, c’est ce qu’il se passe avec la guerre en Ukraine, qui prive l’Europe de ressources en gaz et pétrole alors même que les besoins n’ont pas diminué. Ainsi, d’une certaine manière, on devrait même se réjouir de l’inflation : l’augmentation des prix nous donne une indication des ressources disponibles à un moment donné dont n’aurait jamais eu connaissance un grand ordonnateur !

Que faire contre l’inflation ? Hayek contre Keynes

Cependant, pour Hayek, l’inflation n’est pas seulement le résultat de la « magie » du marché. Elle est aussi la conséquence d’une politique de relance économique par la création monétaire (dans le cas d’espèce, la baisse des taux d’intérêt directeur) et l’investissement public. Cette critique est l’objet d’une controverse célèbre avec John Maynard Keynes (1883-1946). Ce dernier considère que pour relancer la production économique et résorber le chômage, il faut que la puissance publique intervienne dans l’économie malgré une inflation qui ne peut être que provisoire. En ce sens, la politique du « quoiqu’il en coûte » (168 milliards d’euros en 2020) déployée lors de la crise épidémique a, sans aucun doute, participé à l’augmentation générale des prix. Ceci étant dit, cette politique a aussi permis de maintenir un certain niveau de vie général dans un souci de justice sociale.

Hayek n’a cessé toute sa vie de combattre ces vues économiques. Tout d’abord, il considère que l’inflation à court terme brouille les informations à long terme : cette surchauffe est artificielle et ne correspond en rien à une réalité économique. Les prix « mentent ». Ensuite, traumatisé par l’hyperinflation des années 1930, il affirme qu’elle est néfaste pour toutes les classes sociales : « L’inflation rend de plus en plus impossible pour des gens ayant des revenus modérés de pourvoir eux-mêmes à leur vieil âge ; elle décourage l’épargne et encourage la fuite dans l’endettement ; et, en détruisant la classe moyenne, elle crée cette dangereuse lacune entre les couches entièrement dénuées de patrimoine et les couches riches » (La Constitution de la liberté, 1960). Enfin, Hayek considère l’État-providence et la justice sociale comme « un mirage ». En cas de crise, il faut surtout laisser faire le marché : en cas d’arbitrage avec la justice sociale, il est préférable de choisir la stabilité des prix.

Hayek et l’impensé de la spéculation

L’inflation peut aussi être le résultat d’une anticipation exagérée de l’augmentation des prix. Aujourd’hui, une partie de l’inflation est due à de la spéculation. Ainsi, l’inflation n’est pas le reflet de la distribution des ressources disponibles mais la manifestation d’une espérance chrématistique (pour reprendre une notion aristotélicienne), autrement dit, de la volonté de faire des profits de la part de certains agents. Le prix n’est donc plus fiable comme signal. Il faut le corriger. Mais comment ?

Sur cette question, Friedrich Hayek est bien vague. Pour maintenir la robustesse de son système, il refuse toute intervention dirigiste de l’État. Toutefois, il n’écarte pas une intervention des pouvoirs publics. Ce que doit faire l’État, dans un ordre spontanée, ce n’est pas d’imposer un certain type de comportement, mais d’établir des contours prohibitifs afin d’inciter certains comportements. Si la liberté est maintenue, elle n’est alors que négative. Ces limites sont appelées des « règles de juste conduite » dont le but est de « de faciliter l’ajustement et le repérage commun des anticipations qui conditionnent la bonne fin des projets des intéressés » (Droit, Législation et Liberté, 1973-79).

« À partir du moment où notre vie quotidienne consiste à faire face à des circonstances toujours nouvelles et imprévisibles, nous ne pouvons pas l’ordonner en décidant à l’avance toutes les actions particulières que nous prendrons. La seule manière par laquelle nous pouvons, en fait, donner à nos vies un certain ordre est d’adopter certaines règles abstraites ou des principes comme guide, et d’adhérer alors strictement aux règles que nous avons adoptées », écrit-il. Néanmoins, ces règles sont trop abstraites pour cibler particulièrement la spéculation. Sans jamais mentionner cette dernière dans ses textes, il admet qu’« en bornant le champ des actions que tout individu peut accomplir, le droit ouvre à tous la possibilité de collaborer avec autrui, mais il ne garantit pas que collaboration il y aura ».

Pour résumer, l’inflation n’est pas une mauvaise chose en soi : l’augmentation des prix nous informe que les ressources disponibles se font plus rares et qu’il faut allouer nos revenus vers d’autres choix. Ceci dit, la pensée de Hayek souffre d’au moins deux tensions. La première touche la question de la gestion à court terme de l’économie. Selon lui, il ne faut surtout pas intervenir dans l’économie (il va même jusqu’à écrire que les États devraient abandonner leur pouvoir de battre monnaie). Hayek sacrifie ainsi la justice sociale sur l’autel d’une maîtrise absolue de l’inflation. L’arbitrage entre une « inflation naturelle », garantie d’une plus grande fiabilité de l’information, et l’ « inflation artificielle », créée pour doper l’économie et maintenir un niveau social équivalent, se fait clairement en faveur de la première. La deuxième tension concerne l’angle mort que constitue la spéculation. Dire que les agents ne font des choix qu’en fonction de la disponibilité des ressources, n’est-ce pas oublier que l’appât du gain peut aussi amener de la spéculation, et donc une distorsion du prix-signal ? Si l’on considère que la résolution de la crise nécessite des mesures sociales et que la spéculation doit être franchement limitée, alors, peut-être, qu’un peu de taxis (avec un ordonnateur, en l’occurrence les pouvoirs publics) dans ce kosmos ne ferait pas de mal ….

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