Matière à penser / décembre 2015 – janvier 2016

Pauline Brenders publié le 6 min

La personnalité

Ai Weiwei. L’insurrection par le Lego

« Je ne souhaite pas séparer mon art de ce qu’on appelle mon activisme », déclarait l’artiste dissident chinois Ai Weiwei, au quotidien britannique The Telegraph en septembre dernier. Il vient de le démontrer lors du bras de fer qui l’a opposé au numéro un mondial du jouet, Lego. Alors que l’artiste avait commandé des briques à l’entreprise pour son exposition en décembre à la National Gallery of Victoria de Melbourne, où il entendait construire d’immenses portraits en Lego de défenseurs des droits de l’homme – dont Julian Assange –, il a essuyé un refus de l’entreprise danoise. Lego qui soutient pourtant nombre d’expositions et de musées de par le monde a sans doute eu peur des retombées du projet de Weiwei sur le marché chinois. « Nous réalisons que les artistes peuvent avoir un intérêt à utiliser des éléments Lego ou à les faire figurer comme une partie intégrante d’une de leurs œuvres. » Cependant, « en tant que compagnie dont le but est d’offrir aux enfants une expérience de jeu créative, nous évitons de nous impliquer ou de soutenir l’utilisation des Lego dans des projets politiques ». Privé de la matière première nécessaire à l’élaboration des portraits, l’artiste a dénoncé dans ce refus « un acte de censure et de discrimination » et appelé aux dons des particuliers sur les réseaux sociaux. La mobilisation – relayée par le #LegosforAiWeiwei – a suscité la participation de très nombreux enfants qui ont envoyé leurs Lego aux musées de New York, Berlin, Londres, Copenhague, devenus des points de collecte des dons. Il en a vite reçu assez pour concevoir un nouveau projet et « défendre l’art politique ». Une démonstration digne des situationnistes : alors que Lego souhaite entrer au musée par la grande porte, Weiwei détourne cette ambition en faisant apparaître l’impossibilité d’une position apolitique. Dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (1967), le philosophe situationniste belge Raoul Vaneigem résumait la conception ludique, hors cadre et transgressive que pouvait revêtir la culture en déclarant que « dans la couche d’interdits qui recouvre l’activité ludique, une faille s’ouvre à l’endroit le moins résistant, la zone où le jeu s’est maintenu le plus longtemps, le secteur artistique. […] De sorte que le jeu emprunte aujourd’hui le visage de l’insurrection ».

Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
Sur le même sujet

Article
5 min
Cédric Enjalbert

Ai Weiwei. Never Sorry (lauréat du prix spécial au festival Sundance 2012), c’est l’histoire du surveillant surveillé, ou comment un activiste et…

À quoi ressemble une société sans État de droit?


Bac philo
3 min
Nicolas Tenaillon

La religion est un système de croyance qui repose sur deux liens : « vertical » – avec un ou des dieux – et « horizontal » – avec une communauté d’hommes de foi. Si vous êtes croyant, la religion dépendra pour vous d’une révélation,…



Article
1 min

Ancien trader, philosophe spécialiste en épistémologie de la statistique et en psychologie des risques Nassim Nicholas Taleb enseigne à l’université de New York. Il est notamment l’auteur du Cygne noir (Belles Lettres, 2008). Pour lui, …


Article
4 min
Myriam Dennehy

Faut-il sortir du nucléaire ? Voici deux raisonnements reposant sur des probabilités, en même temps parfaitement fondés et diamétralement opposés. Si pour George Monbiot, l’abandon du nucléaire déboucherait sans doute sur une…