Michael J. Sandel : “La méritocratie ne sera jamais un idéal juste”
Qu’est-ce qu’une société équitable ? Le bien commun ? Comment valoriser les contributions des citoyens à l’économie ? Comment définir la dignité du travail ? Depuis quarante ans, Michael J. Sandel reproche au libéralisme de laisser au marché le soin de répondre seul à ces interrogations. Sauf qu’à ne pas réfléchir à ces questions aussi substantielles, on finit par croire à des fables dangereuses… comme la méritocratie. Entretien.
Dans votre livre, vous associez les mouvements de protestation en Europe et aux États-Unis à une crise de l’estime sociale. Pouvez-vous développer ?
Michael J. Sandel : Le ressentiment des classes moyennes et laborieuses à l’égard des élites est alimenté par l’idéologie de la méritocratie. À mesure que les inégalités ont augmenté ces quarante dernières années, les gagnants de la globalisation néolibérale se sont mis à croire que leur réussite était le fruit de leur seul travail, que ce qu’ils gagnaient était à la mesure de leur mérite et, par symétrie, que les plus précaires devaient aussi mériter leur destin. Si vous êtes pauvre, c’est que vous méritez peu. Non seulement votre salaire est bloqué mais en plus, c’est de votre faute. L’hubris méritocratique d’un côté et un sentiment d’humiliation et d’impuissance pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale.
La méritocratie ne serait-elle pour vous qu’un mensonge ?
En comparaison avec le régime aristocratique, la méritocratie semble libératrice. Elle nous dit : vous avez tous une chance. Peu importe votre naissance ou vos conditions initiales, vous pourrez vous élever grâce à vos talents et votre travail. C’est un message très puissant. Dans nos sociétés, la définition du mérite est très associée au crédentialisme : en travaillant dur, vous obtiendrez votre place dans une bonne université, vous aurez un bon diplôme qui vous assignera à votre juste place dans la stratification sociale. L’enseignement supérieur est devenu l’arbitre des opportunités dans une société de marché. La méritocratie n’est pas un remède à l’inégalité mais sa justification. Puisque la mobilité sociale par le travail est supposée possible, vous méritez votre place. Or, nous voyons bien que cela ne fonctionne pas. Les étudiants qui peuplent les meilleures écoles viennent des familles les plus riches et il y a, de fait, très peu de mobilité sociale aux États-Unis comme en Europe. Le mantra méritocratique selon lequel « qui veut doit pouvoir » devient insultant pour toute une partie de la population !
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