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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Michel Serres en 2016 © Serge Picard

Michel Serres: “Je pense avec les pieds”

Michel Serres, propos recueillis par Martin Legros publié le 25 mai 2016 15 min

Pourquoi avoir proposé au philosophe “gaucher” et “boiteux” d’arpenter le bois de Vincennes, près de Paris ? Pour qu’il nous parle d’orientation, de réseau, de repères, de théorie de l’information, de point fixe, de multiplicité… L’arbre ne cache plus la forêt mais dévoile les racines profondes et sinueuses d’une pensée qui se fabrique au rythme de la balade.

Dans un très beau texte intitulé Éloge de la philosophie en langue française (Fayard, 1995), où il parcourt le paysage de la pensée française de Montaigne et La Boétie à Auguste Comte et Gilles Deleuze, Michel Serres pose une question simple mais abyssale : « Où suis-je, donc, moi qui pense ? » Question sans réponse s’il est vrai que la pensée est à la fois ce qui m’assure de mon existence ici et maintenant et ce qui me permet de prendre congé du lieu et du moment où je suis enfermé pour me transporter ailleurs, dans l’espace utopique du concept. Mais question qui conduit le philosophe à élaborer une sorte de géographie de l’esprit où les idées sont comme des cartes qui permettent de s’y retrouver dans le labyrinthe de la vie.

Michel Serres en six dates

  • 1930 Naissance à Agen, le 1er septembre 
  • 1949 Entrée à l’école navale 
  • 1968 Doctorat de philosophie sur Leibniz et ses modèles mathématiques 
  • 1984 Professeur à Stanford (États-Unis) 
  • 1990 Publication du Contrat naturel. Élection à l’Académie française 
  • 2015 Parution du Gaucher boiteux. Puissance de la pensée

Attention, avertit cependant Michel Serres : n’allons pas croire comme Descartes qu’il suffirait d’une méthode simple et évidente, celle de suivre une ligne droite par exemple, pour tracer sa voie. Il faut n’avoir jamais été vraiment perdu dans une forêt, et dans la vie ajouterait-on, pour imaginer une telle issue. Alors, comment diable se diriger ? C’est la question que nous avons voulu poser au philosophe, in situ, en plein cœur d’une forêt. Là, au milieu des arbres, des feuillages et des sentiers tortueux, sous un ciel ombrageux, avec pour seule boussole les concepts qu’il a forgés et l’attention au monde qui est la sienne, il a accepté de se perdre avec nous pour déployer et mettre à l’épreuve sa pensée. Peut-on encore se perdre quand nous sommes tous connectés et surveillés ? Qu’est-ce que l’information et le savoir s’il est vrai que tout, depuis la feuille d’un arbre jusqu’au téléphone portable, stocke, traite et transmet de l’information ? Comment raconter l’histoire et faire société quand la révolution numérique nous détache de l’appartenance à un collectif et à un sol ? Ces grandes questions sont au cœur de son œuvre, depuis Hermès jusqu’à Petite Poucette en passant par Le Contrat naturel. En cheminant dans la forêt et dans sa pensée, c’est une grande leçon d’orientation que nous délivre le philosophe.

Retrouvez le hors-série sur Michel Serres, réalisé en relation étroite avec lui ☛

Dans son Discours de la méthode, Descartes invite ceux qui sont perdus au milieu d’une forêt à « marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté ». Il s’agit là d’être résolu, de savoir se tenir à une ligne, même lorsqu’on est dans le doute. Selon vous, sous les dehors de l’évidence, c’est un mauvais conseil. Pourquoi ?

Michel Serres : Quand tu es dans une forêt, il y a des arbres de tous côtés, des branches et des feuillages qui barrent la vue, un sol inégal, etc. Une ligne droite va d’un arbre à un autre, puis une autre ligne à un troisième arbre, etc. Il existe forcément un angle entre ces deux lignes ! Mais, justement, tu ne peux justement pas l’estimer. En forêt, la route que tu traces suit des segments successifs dont rien ne t’assure qu’ils s’alignent. Il faudrait pouvoir se fixer sur l’étoile Polaire – mais cela suppose qu’il fasse nuit et que la forêt ne soit pas trop dense. Le conseil de Descartes est formulé par quelqu’un qui ne s’est jamais perdu… et qui ne sait pas ce qu’est une forêt. Sa méthode est donc inutile. Se perdre consiste précisément à ne plus pouvoir conserver la ligne droite. D’autre part, il confond l’espace avec une mesure de l’espace, avec la métrique.

 

Nous sommes dans une forêt aujourd’hui, à Vincennes. Quel serait votre conseil si nous nous perdions ? Comment élaborer une carte plus pertinente que celle de Descartes ?

Quelle est la longueur de la côte bretonne du mont Saint-Michel à Nantes ? Quelques centaines de kilomètres. Mais on ne prend alors la mesure que de cap en cap, sans tenir compte de l’anse qui les sépare. Or à mesure que l’on entre dans la précision, le nombre de ces anses augmente, jusqu’aux molécules… De même, quelle est l’épaisseur de ce nuage qui passe au-dessus des arbres ? De loin, on l’estime à quatre mètres, mais de près, les boursouflures et les recoins se révèlent bien plus nombreux. Les deux longueurs, dites alors fractales, peuvent aller vers l’infini. Dessiner une carte, c’est tracer un message sur un support. Ce support peut être un plan régulier et lisse, comme celui qu’imagine Descartes. Mais si je le dessine sur un mouchoir et que je le mets dans ma poche, le dessin aura une tout autre allure. C’est le même dessin, mais il est devenu autre grâce à la modification du support. C’est ainsi qu’on a inventé la topologie : on dessine un cercle, on le tord et on obtient un huit ; on tord un ruban de papier, on colle les deux extrémités et on obtient un ruban de Möbius. Avant de dessiner une carte, il faut penser au support. À ce propos, je vous ai déjà parlé de ma grand-mère ?

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