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© Jack Fereday

Reportage

Morts par désespoir

Jack Fereday publié le 25 septembre 2019 16 min

Alcool, overdose aux opiacés, suicide… Aux États-Unis, la mortalité explose, alors que l’économie est au beau fixe. Durkheim en main, notre reporter est allé enquêter sur ce paradoxe.

 

Adolescent, Jesse a souvent trouvé refuge chez son ami d’enfance : un terrain isolé où l’on peut boire des bières, pêcher, tirer au fusil à l’arrière d’un pick-up – bref, décompresser dans un esprit bon enfant caractéristique de la Louisiane. Mais ce soir, face au petit étang où il laisse flotter ses hameçons, le jeune trentenaire se dit enfin prêt à parler de son père : « Sa famille avait de l’argent, il a eu tout ce qu’il voulait sur un plateau d’argent, et il était hautement intelligent – il est allé à la fac juste pour le plaisir d’apprendre. » Et pourtant, le père de Jesse a sombré dans la drogue à peine adulte, entamant une longue spirale qui l’a conduit à la découverte de l’OxyContin, un analgésique – « le truc ultime pour lui » –, et qui s’est achevée le 4 juillet 2016, jour de la fête nationale américaine, d’un coup de fusil de chasse en plein cœur. « Son combat est terminé », soupire Jesse d’une voix résignée, à peine tremblante. Après tout, le suicide de son père n’a rien d’exceptionnel : celui de sa demi-sœur s’est pendu en 2015, après des années de dépendance à l’alcool et aux stupéfiants (dont l’OxyContin, un nom qui reviendra souvent). « Je n’ai jamais pu comprendre. Il y a des gens qui disent que c’est une maladie… mais avec certaines personnes, il n’y a pas moyen de savoir. » Quelque part dans la maison en bois derrière nous, il m’explique que son ami reste désormais cloîtré, trouvant refuge dans les anti­douleurs. Il ne sortira pas de la soirée.

Jesse vient de la ville de Lafayette, en Louisiane, mais l’histoire qu’il nous a racontée se déroule tous les jours aux quatre coins du pays : depuis le début du XXIe siècle, la mortalité due au suicide, à l’abus d’alcool et de drogues explose aux États-Unis, contribuant depuis 2014 à un recul historique de l’espérance de vie. Un phénomène d’autant plus troublant qu’il touche avant tout des hommes blancs d’âge moyen, sans diplôme universitaire – historiquement, pas forcément les plus défavorisés –, et ce au moment où l’économie connaît dix années de croissance ininterrompue. Et si l’Américain moyen semble désormais mourir « par désespoir », comme le proposent les économistes Sir Angus Deaton (lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, le « Nobel d’économie », en 2015) et Anne Case, les premiers à avoir lancé l’alerte, cela n’explique pas de quoi il désespère… Le paradoxe est frappant : les Américains bénéficient d’une santé économique éclatante, avec un PIB annuel de près de 60 000 dollars par habitant et un taux de chômage quasi nul, mais ils sont aussi de plus en plus nombreux à se donner la mort – le tout dans un climat politique délétère, marqué par les ardeurs nationalistes de Donald Trump. D’où vient donc cet étrange mal-être au pays le plus riche du monde ? 

 

“Big Pharma” et la folie des opiacés

Dans l’imaginaire américain, la chaîne des Appalaches représentait autrefois l’épine dorsale de la nation : au fond de ces vallées aux lignes de crêtes embrumées, les pionniers ont façonné une culture à base de musique folk, de liqueur et de dur labeur, dont les mineurs de charbon du XXe siècle étaient les fiers héritiers. Mais la mécanisation des mines et la pauvreté qui a suivi ont largement terni cette image. Et, comme pour enfoncer le clou, ils sont aujourd’hui à l’épicentre de la plus violente épidémie de drogue que le pays ait con­nue : 70 000 Américains morts par overdose en 2017 – soit plus que pendant les guerres d’Irak, d’Afghanistan et du Vietnam confondues –, dont 48 000 par opiacés.

« C’est à cause des entreprises pharmaceutiques ! Vers la fin des années 1990, elles ont lancé une campagne massive pour faire croire que les opiacés n’étaient pas dangereux. Elles ont aussi financé des associations médicales pour que l’on considère la douleur comme un cinquième signe vital et pour que les médecins prescrivent des opiacés pour toutes sortes de douleurs ordinaires… » Dans un restaurant de Roanoke, en Virginie, Beth Macy me livre un argumentaire rodé. Au fil de ses apparitions médiatiques, cette journaliste expérimentée est devenue une héroïne locale pour les habitants des petites villes minières, pris pour cible, selon elle, par les grands groupes comme Purdue Pharma, le fabricant de l’OxyContin. « C’est comme ça que les opiacés se sont retrouvés dans les armoires à pharmacie des Américains, poursuit-elle, et c’est comme ça que les gamins “à risque” – ou pas – sont entrés en contact avec… » Dans un médaillon autour du cou, elle garde sur elle la photo de Tess : une jeune femme anxieuse – Beth précise qu’elle a subi des traumatismes dans l’enfance –, à qui l’on a prescrit deux longues cures d’opiacés pour une simple bronchite. De ce traitement à l’overdose, un itinéraire tristement classique : analgésiques au marché noir, puis héroïne en poudre et, enfin, par intraveineuse.

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