Olivier Beaud : “Le fait que certains chercheurs soient de plus en plus militants est un réel problème”
Dans son dernier livre, Le Savoir en danger (PUF, 2021), le juriste Olivier Beaud aborde le concept encore peu (re)connu en France de « liberté académique », qui se trouve à mi-chemin entre liberté d’expression et exigence d’objectivité scientifique. Il partage surtout un constat inquiet : au-delà de la « cancel culture », certes « réelle mais minoritaire », la liberté universitaire subirait surtout une addition de menaces étatiques, économiques et administratives, qui mineraient de l’intérieur et de l’extérieur le travail des universitaires. Entretien sur un sujet pour le moins brûlant.
Vous dressez un bilan assez pessimiste de la situation sur la liberté académique en France. Parmi toutes les menaces – politique, religieuse, économique, etc. – qui pèsent sur les universités, laquelle est la plus prégnante, selon vous ?
Olivier Beaud : En France, je crois que la menace la plus insidieuse pour l’universitaire lambda provient de l’administration, qui peut se montrer tyrannique. Les procédures administratives sont légion dans le monde universitaire, aucun chercheur ne peut échapper au contrôle de l’administration : même lorsqu’il s’exprime en dehors de l’université, dans la presse notamment ! En 2017, par exemple, les chercheurs de l’université de Strasbourg étaient censés informer le service de communication de l’université lorsqu’ils étaient sollicités par un média. Aussi, si un chercheur voulait être lui-même à l’initiative d’une publication dans la presse, il devait passer par ce service. Seule la mobilisation des universitaires a fait renoncer la présidence à pérenniser cette mesure. La menace administrative est d’autant plus insidieuse qu’elle est couplée avec un contrôle étatique sous-jacent : les présidents d’université sont obligés de bien s’entendre avec les ministères, car ils dépendent financièrement d’eux. À l’étranger, il est vrai que la menace la plus importante semble être devenue l’idéologie « woke » – ce que j’appelle, personnellement, les « causes identitaires » – et la censure morale. Force est de constater que ce phénomène, s’il arrive aussi dans l’Hexagone, ne connaît pas une telle ampleur chez nous.
“En France, la menace la plus insidieuse pour l’universitaire lambda provient de l’administration !”
Dans votre livre, vous prenez, pour illustrer cette “censure morale” supposée provenant des étudiants, l’exemple de la lutte contre le harcèlement sexuel. Comment un tel combat, qui représente a priori un net progrès social, peut-il devenir une menace pour la liberté ?
Ces causes progressistes défendues par de nombreux étudiants sont malheureusement dénaturées par certains militants très radicaux, qui peuvent aller jusqu’à enfreindre le droit. Je cite notamment un exemple, au moment du vaste mouvement « Balance ton porc » en 2019. L’Association des étudiants en droit à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne avait organisé une conférence intitulée : « La présomption d’innocence à l’heure de #BalanceTonPorc ». Rien de plus normal que dans la faculté de droit, les étudiants veuillent examiner cette question compliquée, et pourtant décisive, de savoir si la dénonciation des agresseurs sexuels par les moyens modernes de communication est conciliable avec la présomption d’innocence, grand principe de procédure pénale moderne. Or, cette conférence fut rapidement interrompue par un groupe d’une douzaine d’étudiants qui traitèrent les intervenants (deux avocats et un professeur d’histoire du droit) de « violeurs en puissance ». Après avoir été expulsés, l’un d’eux arriva à revenir dans la salle et éclaboussa le président de séance ainsi qu’une partie des protagonistes avec une bouteille d’urine… Il y eut donc, en plus de la violence verbale, une violence physique réelle. Aujourd’hui, ces exemples de violation de la liberté d’enseigner sont de plus en plus nombreux à l’université. Je cite aussi dans mon livre le cas d’un professeur à Aix-en-Provence qui a été menacé de mort… pour des propos certes déplacés (comparant l’islam à une maladie « sexuellement transmissible » du fait de son caractère « héréditaire » de père en fils), mais qui ne méritaient pas un tel sort.
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