Les poisons

Paroles de naufragés

Richard Shusterman, Denis Vernant, Elsa Godart, propos recueillis par Émilie Chapuis publié le 6 min

Quand elle échoue à répondre à nos interrogations douloureuses, la démarche philosophique peut elle-même devenir source de souffrance. À travers des cas vécus, trois auteurs explorent les limites de la « consolatio ».

Claire Marin : « Ceux qui pensent que le mal est nécessaire pour un plus grand bien sont exaspérants. »

34 ans, philosophe atteinte d’une maladie chronique incurable, a éprouvé l’incapacité de la philosophie à consoler… Auteur de Hors de moi (éditions Allia) et de Violences de la maladie (Armand Colin).

 

« Étudiante en philosophie, j’avais travaillé sur le thème de la maladie avant de tomber malade. Je croyais que philosopher préparait et consolait… Mais face aux situations les plus éprouvantes, la philosophie n’apporte aucune consolation. Elle reste muette, alors qu’elle pourrait analyser phénoménologiquement la destruction de l’image de soi, l’obsession, le repli ou le retrait qu’elle engendre. Pis, certains textes m’ont fragilisée. Ainsi, la phrase “Tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort”, est à la fois un poison et un remède. Elle est terrible car elle est fausse. Ce qui ne me tue pas continue de m’affaiblir, et m’affaiblira jusqu’à la mort. Et en même temps, on tient à la part d’optimisme qu’elle contient. La philosophie dialectique est la plus insupportable. Hegel et ces philosophes pour qui le mal est un moment nécessaire pour un plus grand bien sont exaspérants, car c’est de cette manière que l’on présente habituellement la maladie. Les campagnes de lutte contre le cancer insinuent que le mérite et la volonté comptent. Faux. Il y a des maladies dont on ne guérit pas. Si les survivants du cancer sont des “héros”, ceux qui n’ont pas survécu sont-ils des ratés ? Cette approche est agaçante, culpabilisante. »

Expresso : les parcours interactifs
Kant et la raison
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