“Pourquoi est-ce si important d’avoir des amis ?”

publié le 3 min

Question de Julie Paul.

Première réponse : parce que nos amis nous rendent meilleurs. Seconde réponse : parce qu’ils nous autorisent à être ce que nous sommes. La première est inspirée d’Aristote : dans l’Éthique à Nicomaque, il fait de l’amitié une occasion d’actualisation de son talent personnel. Si la relation que j’ai avec un ami me permet de développer des dispositions qui, sans lui, seraient restées « en puissance », alors cet ami est bien l’ami de la vie en moi : il me permet de grandir, de « m’agrandir ». Inutile d’ailleurs que ce soit son but, qu’il soit parfaitement bienveillant, l’essentiel est que je me développe à son contact. Cette réponse se heurte à une évidence, d’ailleurs bien agréable : en présence de nos amis, nous aimons aussi ne pas « nous développer » et être tout entiers ce que nous sommes, dans nos imperfections, nos paradoxes, voire nos contradictions. Enfin, nous cessons de vouloir séduire, nous avons moins peur du ridicule, nous osons défendre des idées limites, tester des hypothèses hasardeuses. Les deux réponses, paradoxales au premier abord, se complètent en fait : car cet abandon relatif, rendu possible par la bienveillance de l’ami, va nous aider à nous rapprocher de nous-mêmes, et parfois même à nous découvrir autres. Cette autorisation à être ce que nous sommes nous permettra précisément de devenir meilleurs, plus singuliers et conscients de nous-mêmes. Peut-être qu’il y a aussi dans l’amitié cette admiration de la singularité de l’autre qui nous donne envie de développer la nôtre. Nietzsche parlait d’« amitiés stellaires » pour dire combien une étoile peut en inspirer une autre, combien une singularité peut être un pont tendu vers une autre singularité. Nous sommes parfois tentés d’imiter nos amis, mais le jour où nous comprenons que c’est leur singularité que nous admirons, nous ne pouvons plus les imiter : voici venu le temps de « devenir soi-même ». En présence de nos amis, nous nous sentons uniques. Grâce à eux, nous devenons singuliers. Et puis nous nous parlons : nous parlons à nos amis pour savoir ce que nous pensons, pour partager joies et peines. Nous parlons et c’est ainsi que nous entretenons ce lien, tellement plus réel qu’un principe abstrait, tellement plus chaleureux qu’une grande idée. Avez-vous remarqué ? L’amitié, à la différence du respect de tous ou de l’amour du prochain, est très rarement érigée en principe. Elle est si réelle pourtant, si douce, si naturelle au fond. À croire que les civilisations n’érigent en principe – en « tu dois » – que ce qui est contre-nature.

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