Quand les femmes hétéros embrassent le célibat volontaire
Le couple hétérosexuel peut-il être sauvé ? Pas sûr, répondent de plus en plus de militantes féministes ! Pour les plus radicales d’entre elles, la relation entre hommes et femmes, défigurée par des siècles « d’oppression » et de « violence », perpétuerait, sous couvert d’égalité formelle, des formes patriarcales de domination… De manière parfois très visible – dans le cas de ce qu’on appelle aujourd’hui les « féminicides ». Parfois beaucoup plus subtilement, sous la forme de la charge mentale, par exemple. Il serait alors impossible de s’épanouir vraiment dans ces conditions. Quelle solution, donc ? Si certaines défendent un lesbianisme militant, d’autres font désormais le pari du célibat volontaire. Un choix aussi personnel que militant, dans une société où vivre seul reste majoritairement perçu comme un état insatisfaisant, qui doit être transitoire. En l’an 1700, la philosophe Gabrielle Suchon défendait déjà cette idée, dans un texte éminemment moderne et audacieux.
La défense du célibat volontaire est intimement liée au parcours personnel de Gabrielle Suchon, née en 1632. Issue d’une vieille famille noble de la région de Dijon, Gabrielle perd son père (procureur du roi) à l’âge de treize ans et se retrouve bientôt placée au couvent des jacobines de Semur-en-Auxois – sans doute pour échapper à un mariage forcé. Mais la vie de religieuse ne lui convient pas non plus. Elle s’échappe bientôt et gagne Rome où elle obtient du pape en personne la révocation de ses vœux. À son retour, le parlement de Dijon rend un avis contraire. Qu’importe, Gabrielle Suchon ne retournera pas au cloître. Elle veut rester célibataire – sans mari, et sans enfants –, mais rester dans la société. Autodidacte, elle devient préceptrice et commence, à la fin de sa vie, à travailler sur deux ouvrages de plus de mille pages chacun, qui témoignent de son incroyable érudition pour l’époque : le Traité de la morale et de la politique (1693), et Du célibat volontaire, ou la vie sans engagement (1700), publié deux ans avant sa mort.
Si le contexte a changé, l’ode à la vie de célibataire, déjà pratiquée par Suchon comme un acte quasi-militant, a conservé une grande partie de son actualité. « La vie libre est un état plus doux et plus tranquille », écrit-elle. Ses arguments sont de différents ordres.
- Épanouissement : « Plusieurs personnes du Sexe [les hommes] ont excellé dans les arts et dans les sciences », pour la bonne raison qu’elles ont « renoncé aux embarras du mariage, comme à une manière de vivre, qui diminue beaucoup la liberté qui est si nécessaire pour les vertus éminentes et pour les entreprises généreuses, parce qu’elles savaient fort bien que dans cette condition l’on a des attachements » qui nous empêchent d’être complètement habités par ce que l’on fait (peindre un tableau, résoudre une équation, inventer, etc.) Que dire alors des femmes de l’époque, complètement accaparées par leurs tâches domestiques, qui « doivent être très-parfaites », qui ont des « devoirs […] si grands que pour les accomplir il serait nécessaire qu’elles fussent ornées des vertus » des saints ? La charge mentale avant l’heure. Si elles veulent exister comme individus, les femmes doivent se libérer de ce « fardeau rude, pénible », de ces « obligations difficiles et onéreuses ».
- Moralité : « L’esprit et le coeur sont entièrement détachés » lorsqu’on est seul. Le ou la célibataire est « exempt de craintes », « libre des empêchements qui emportent le temps et la liberté des gens mariés ». Il ne se soucie pas plus de sa famille – puisqu’il n’en a pas – que de l’ensemble de l’humanité. Le célibataire est, en ce sens, plus proche de l’idéal de charité, de l’accomplissement sans restriction des « oeuvres de miséricorde spirituelles et corporelles ».
- Dangers : « Éviter une fâcheuse société », tel est, de manière pudique, l’un des intérêts principaux du célibat pour Gabrielle Suchon, qui constate qu’« il y a plus de femmes dans la tristesse que dans la joie et il y en a beaucoup plus de mécontentes que d’heureuses. » En cause ? « L’entière soumission que [les femmes] doivent à leur mari », en premier lieu. Situation d’autant plus « insupportable » lorsque le mari se révèle « rebutant, désagréable et d’un mauvais naturel ». Comprendre, entre les mots : violent, physiquement comme psychologiquement. Suchon s’en prend en effet aussi aux maris qui emprisonnent leur épouse dans « le soupçon, la méfiance, la jalousie ».
En une étonnante modernité, Gabrielle Suchon résume l’existence de célibataire comme une vie qui ne serait « pas inquiétée par le désir de plaire ni par la crainte d’être mal-traitée ». Libérée de la violence masculine, et en l’occurrence aussi du regard du désir masculin qui, on le comprend chez Suchon, emprisonnerait souterrainement leur existence. Ce mot d’ordre n’a pas tellement changé dans la version qui semble aujourd’hui revenir au goût du jour. Hormis peut-être en ce qui concerne la maternité, que Gabrielle Suchon rejetait – s’astreignant sans doute, en l’absence de contraceptif, à une chasteté stricte. Difficile de démêler les deux aspects : à la fin du XVIIe siècle, être mère signifiait peu ou prou être mariée. Les choses ont bien changé. En Occident, le mariage a cessé depuis longtemps d’être une condition « nécessaire » pour procréer, et la PMA permet désormais aux femmes de faire des enfants sans conjoint. Gabrielle Suchon y aurait-elle eu recours ? Impossible à dire, évidemment. Reste que son aspiration intransigeante résonne avec celle d’un certain nombre de femmes, trois siècles plus tard.
Des Grecs à l’après-68 en passant par la chrétienté, le constat semble quasi unanime parmi les philosophes : la famille est ce qui empêche la vie authentique. Ce n’est pas le peuple majoritaire des célibataires qui les contredira.
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