Quelle était la philosophie de Charles Baudelaire ?

Philosophie

« Il paraît que je n’ai pas du tout l’air d’un philosophe. » Cette confession est de Baudelaire lui-même. Walter Benjamin confirme plus tard cette impression : « Baudelaire était un mauvais philosophe, un bon théoricien, mais c’est seulement en tant que méditatif qu’il était incomparable. » Le poète témoigne de sa méfiance à l’égard de la philosophie. Ainsi écrit-il dans « L’Art philosophique », un article inachevé : « Plus l’art voudra être philosophiquement clair, plus il se dégradera et remontera vers l’hiéroglyphe enfantin ; plus au contraire l’art se détachera de l’enseignement et plus il montera vers la beauté pure et désintéressée. » Et d’ajouter, en d’autres passages de son œuvre : « Le goût exclusif du Vrai […] étouffe le goût du Beau. […] J’ai essayé plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un système pour y prêcher à mon aise. […] Pour échapper à l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement résigné à la modestie : je me suis contenté de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naïveté. » La philosophie semble, à Baudelaire, incapable de rivaliser avec l’infinie variété sensible du monde.

Influences

Son rapport à cette discipline est, pourtant, plus ambivalent qu’il n’y paraît. Comme la majorité des hommes de lettres de son temps, Baudelaire – lui-même issu d’un milieu plutôt aisé – a fait ses humanités. Il connaît la philosophie antique, de Platon à Aristote en passant par Pythagore ; il est familier de la pensée des Lumières, en particulier Diderot, Rousseau et Voltaire ; il connaît un peu de philosophie allemande, Kant notamment. Sans parler de Pascal, Fourier, Proudhon, Emerson et surtout Joseph de Maistre, le plus important des penseurs contre-révolutionnaires, avec lequel Baudelaire partage une commune hostilité à la modernité (à certains aspects de la modernité en tout cas). Toutes ces références, dont François Requet donne une liste particulièrement détaillée dans Baudelaire et la philosophie, se retrouvent sous sa plume. Le poète concède même ces mots : « La poésie est essentiellement philosophique ; mais comme elle est avant tout fatale, elle doit être involontairement philosophique. » Et, ailleurs : « Le temps n’est pas loin où l’on comprendra que toute littérature qui se refuse à marcher fraternellement entre la science et la philosophie est une littérature homicide et suicide. » Poésie et philosophie ne sont pas sans rapport. Mais la poésie conserve un privilège incomparable : elle est ouverte à ce qui peut être, et non seulement à ce qui est : « Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. La nature est laide, et je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive. » La poésie, contrairement à la philosophie, est ouverte à l’imagination, cette « faculté quasi divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies. »