Repérages/Septembre 2020

L’image/Renaissance d’un pont

Le 3 août, à 18h30, la voiture du président de la République italienne Sergio Mattarella a été la première à franchir officiellement le nouveau viaduc construit en un temps record à Gênes. Remplaçant le pont Morandi, qui s’était effondré deux ans plus tôt, il a été baptisé du nom de saint Georges, protecteur de la ville et patron des voyageurs. Tout un symbole. Certes, le pont joue un rôle logistique et économique essentiel : il connecte la ville de Gênes – premier port de commerce italien et l’un des plus actifs en Méditerranée – à l’autoroute A10, et donc au reste de l’Europe. Cependant, la construction (ou la destruction) d’un pont joue aussi un rôle symbolique fondamental. C’est ce qu’affirme Michel Serres, qui, dès l’origine, a placé son œuvre sous le signe d’Hermès, le dieu des échanges et de la communication, des « go-between ou des intermédiaires », comme il l’écrit dans son ouvrage L’Art des ponts. Homo pontifex (Le Pommier, 2006). Aux yeux du philosophe, tout pont est un symbole, et tout symbole fonctionne, réciproquement, sur le modèle du pont qui met en relation deux réalités hétérogènes – une rive et l’autre, le dehors et le dedans, la vie locale et le monde global, « l’immanent et le transcendant ». « Trait d’union matérialisé, le pont réunit des altérités ». Il concilie l’élévation verticale de l’édifice produit par le génie humain et l’attention horizontale portée au terrain. Le « pontage » devient ainsi, pour Michel Serres, le modèle même de toute activité de la main et de l’esprit.

Le mot/“Pessimiste”

« La France n’est pas pessimiste à cause de ses handicaps, mais handicapée à cause de son pessimisme »

Hubert Védrine, le 5 juillet dans Paris-Normandie

« Je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté »

Antonio Gramsci, Cahiers de prison (publié à titre posthume en 1948)

La notion/L’effet Lovebug

Qu’est-ce qui nous pousse à sortir de chez nous pour flâner en forêt ou dans les parcs ? Les microbes, affirment les microbiologistes Jake M. Robinson et Martin F. Breed dans une étude parue dans la revue Science of the Total Environment ! Nos comportements sont ainsi « manipulés » par les millions de micro-organismes qui vivent en nous pour notre propre bien autant que pour le leur. Une découverte qu’ils nomment « effet Lovebug ». Selon les scientifiques, « nous devons nous considérer comme un écosystème en mouvement ». Or du fait de nos modes de vie citadins, notre « microbiome » tend à s’épuiser, entraînant l’apparition de diverses pathologies. Reprendre contact avec l’extérieur devient alors une manière de ressourcer nos organismes appauvris. Dans son ouvrage Pasteur : guerre et paix des microbes (1984 ; rééd. La Découverte, 2012), le sociologue Bruno Latour montre comment, au XIX^e siècle, les progrès scientifiques rendent visibles des acteurs invisibles – les microbes – et en font les ennemis d’une véritable guerre hygiénique. « L’État défend ses frontières avec des soldats contre les ennemis de grosses tailles, et avec des médecins contre les ennemis de petites tailles. » L’effet Lovebug rappelle que ces acteurs peuvent être aussi de véritables alliés. 

Le chiffre/2 000

C’est, en dollars, le prix historiquement haut atteint par l’once d’or (environ 31 grammes), au mois d’août. Dans un climat d’incertitude lié au Covid-19, les métaux précieux constituent des placements prisés : « Leur durabilité, leur indestructibilité relative, leur propriété de ne pas s’oxyder » font d’eux « la matière naturelle de la thésaurisation », là où la monnaie fiduciaire peut se dévaluer au gré de la conjoncture, analyse Karl Marx dans sa Critique de l’économie politique (1859). Relativement rares et « toujours identiques à eux-mêmes », l’or et l’argent restent donc les valeurs refuges par excellence. 

Le décryptage/Les Français ont du chien… et du chat

Les Français ressemblent à leurs animaux de compagnie – ce sont eux qui le disent ! Selon une étude de l’Ifop pour le portail Internet Woopets, 60 % des propriétaires de chiens déclarent partager avec leur compagnon au moins cinq traits de caractère. Ils sont même 15 % à se « reconnaître totalement dans leur animal ». 

La possession d’animaux de compagnie reste, par ailleurs, un indice du niveau de vie : le taux de possession dans les catégories les plus modestes est supérieur de 17 points à celui des catégories les plus favorisées. La « guerre » entre possesseurs de chien et de chat est, elle aussi, révélatrice. Parmi les 52 % de Français vivant avec au moins un animal, les chats sont surreprésentés par rapport aux chiens – 33 % contre 25 %. Mais les possesseurs de chien sont plus nombreux chez les ouvriers, tandis que la « France des chats », elle, correspond davantage aux catégories socioprofessionnelles supérieures : les Français les plus aisés sont en effet 40 % à être propriétaires d’un chat. Un paradoxe, semble-­t-il, puisque les dépenses alimentaires pour un chien s’élèvent chaque année à 546 euros, contre 442 euros en moyenne pour l’ensemble des animaux domestiques.

La majorité des propriétaires s’accordent en tout cas pour dire que leur animal est un « soutien moral ». Les détenteurs d’animaux de compagnie sont 84 % à déclarer avoir « bien vécu » le confinement, soit 6 points de plus que les Français qui n’en ont pas. Ami, allié, confident : l’animal de compagnie représente bien plus qu’une possession, qu’un « meuble » selon son ancien statut juridique. Il joue un rôle actif dans la vie de son maître. « Vivre avec les animaux, investir leurs histoires et les nôtres, essayer de dire la vérité au sujet de ces relations, cohabiter au sein d’une histoire active » : la philosophe Donna Haraway résume ainsi cette conversion du regard porté sur l’animal dans son Manifeste des espèces compagnes (Climats, 2019). Elle va jusqu’à décrire la relation d’affection qu’elle entretient avec son chien, Cayenne Pepper, comme une « déclaration de parenté ». L’animal, un membre à part entière de la famille ?

Les Français et leur animal de compagnie
52 % des Français possèdent un ou plusieurs animaux de compagnie
Parmi eux :
33 % possèdent un chat
25 % un chien
8 % un animal d'une autre espèce

Les possesseurs d’animaux domestiques habitent :
à 37 % dans l’agglomération parisienne
à 64 % à la campagne

59 % des catégories les plus pauvres
et 42 % des catégories les plus aisées possèdent un animal de compagnie

Les Français dépensent annuellement en moyenne
442 € en nourriture pour leurs animaux
et 114 € en frais vétérinaires

50 % des possesseurs de chats
et 60 % des possesseurs de chiens
affirment partager au moins 5 traits de caractère avec leur animal

Sources : « Tel maître, tel chien ou chat ? Les Français et leurs animaux de compagnie », sondage mené par l’Ifop pour Woopets, le 22/07/2020.