Sandra Laugier : “La voie de la confiance en soi, une utopie profondément réaliste”

Sandra Laugier, propos recueillis par Mathilde Lequin publié le 5 min

« Croyez en vous-même ! Osez dire ce que vous pensez, quitte à être incompris ! Voici à première vue des conseils dont les livres de développement personnel font aujourd’hui leurs choux gras. Et pourtant, Emerson est un penseur double, profondément ambivalent : si sa philosophie de l’affirmation de soi frise parfois la grandiloquence, elle cultive aussi un côté extrêmement ordinaire et démocratique. C’est la conjugaison de ces deux aspects qui en fait toute l’originalité. Pour lui, la confiance en soi se fonde sur la conviction qu’en disant ce dont on est vraiment certain “au fond de son cœur”, de la façon la plus authentique possible, cette parole juste subjectivement aura une sorte de force universelle. La confiance en soi a donc une base risquée, fragile, sceptique : c’est se fonder sur soi seul, pour affirmer quelque chose de général. Emerson opère ainsi un tour de force philosophique : il nous explique qu’on peut avoir raison tout seul contre tous, ou pour tous.

 

« La confiance en soi se comprend comme une exploration morale »

Ce qui distingue la confiance en soi émersonienne, c’est qu’elle ne suppose absolument pas un soi sur lequel on s’appuie, comme un fondement stable, pour créer la confiance. C’est au contraire un soi qui est constamment au-delà, projeté en avant, un soi qui se crée par la confiance. Rien à voir avec la prétention du “petit con” sûr de lui ! La confiance en soi est cette façon qu’on a de toujours sentir qu’on va au-delà de soi, hors de soi, pour rechercher sans cesse un état plus élevé de soi-même. À la base de la confiance en soi, on trouve en effet le perfectionnisme moral, c’est-à-dire l’idée d’une perfection que chacun cherche dans la vie en visant un état meilleur de soi-même. Ce cheminement perfectionniste prend des formes très diverses. Il se nourrit des échanges avec autrui, d’une conversation où chacun s’éduque mutuellement, où se fait sentir un progrès commun. Mais il s’exprime aussi par des actions de désobéissance civile, dans des situations qui nous sont insupportables, dont on ne veut pas être complice : ainsi Emerson a-t-il appelé à désobéir à la législation esclavagiste de son temps. De manière générale, l’attitude morale perfectionniste est basée sur des actions qui conduisent à la confiance en soi par l’impossibilité d’accepter le monde tel qu’il est. Prenons La Vie d’Adèle : l’héroïne du film est à la recherche de sa singularité, de sa propre perfection. Sa relation amoureuse et sexuelle avec Emma représente pour elle une meilleure version de soi. Car la sexualité aussi est, pour beaucoup de gens, une façon d’atteindre un état supérieur, de sortir de soi. La confiance en soi se comprend comme une exploration morale, dans laquelle on recherche aussi ce que c’est que le bien, en même temps que ce qui est mieux pour soi. Voilà une dimension morale peu valorisée dans la morale classique, celle de Kant par exemple, fondée sur le respect du devoir, même si elle a ses sources anciennes.

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Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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