Édito

Schiller cherche ses chaussettes chaudes

Alexandre Lacroix publié le 3 min

N’avez-vous jamais remarqué que souvent, les gens très ordonnés, voire maniaques, abritent en eux-mêmes de véritables tempêtes de passions et d’idées contradictoires ? Et qu’inversement, ceux qui s’accommodent volontiers d’une dose de désordre, qui laissent leur bureau ou leur chambre en foutoir, sont nombreux à avoir une vraie autodiscipline, un fonctionnement psychique structuré, bien régulé ?

Une explication de ce chassé-croisé se trouve peut-être dans une œuvre du romantique allemand Friedrich von Schiller, les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795). Schiller part d’une observation générale sur la nature humaine : il y a en chaque être humain « quelque chose qui persiste et quelque chose qui change continuellement ». Ce qui change, ce sont nos états – nous passons ainsi de l’abattement à l’enthousiasme, de la spéculation abstraite à l’ivresse abrutissante. Ce qui se présente comme une unité stable, c’est notre personne, puisque, depuis l’enfance, quelque chose de nous-mêmes se maintient à travers le temps. De là, Schiller déduit que nous avons deux instincts contradictoires. L’instinct sensible « réclame du changement », il nous pousse à vouloir élargir notre intériorité, à enrichir notre connaissance du monde en traversant le plus d’états possible. Il s’agit donc d’une soif d’expériences et de voyages, d’une curiosité qui ne nous laisse aucun répit et permet de cultiver en nous la variété. Mais nous avons aussi un instinct formel, qui fait que nous avons tendance à prendre appui sur l’unité et la stabilité de notre personne pour tenter de gouverner le monde, le ranger, lui donner forme. Or ces deux instincts ne sont pas seulement en tension : selon Schiller, il existe un point de jonction entre eux, puisque l’instinct formel ne sera puissant, ne sera vraiment ordonnateur que si nous avons acquis une personnalité forte. Et cela s’obtient à condition de lâcher la bride à l’instinct sensible. « L’homme impose sa compréhension et sa forme à des portions d’autant plus considérables de monde et il crée d’autant plus de formes en dehors de lui que sa personnalité acquiert plus de force et de profondeur et sa raison plus de liberté. »

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Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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