“Touche pas à mon poste” : cirque médiatique, cauchemar démocratique

Depuis que Cyril Hanouna a insulté le jeune député Louis Boyard sur le plateau de Touche pas à mon poste la semaine dernière, l’émission est au centre d’une vive polémique. Mais comment a-t-elle réussi à atteindre une si grande popularité, malgré toutes les critiques dont elle fait l’objet ? L’analyse de notre journaliste Ariane Nicolas, qui connaît bien TPMP pour l’avoir longtemps regardée.

Il y a huit mois, pour le 1^er avril, Philosophie magazine publiait un article parodique assurant que l’animateur Cyril Hanouna était secrètement lecteur de Hegel. Cette boutade, qui ironisait sur le peu de sérieux de son émission Touche pas à mon poste (« TPMP »), avait été relayée par l’intéressé lui-même sur le plateau de C8, laissant percevoir un certain sens de l’autodérision voire, qui sait, d’autocritique.

Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la rigolade. Jeudi 10 novembre, le présentateur vedette de la chaîne C8 – propriété du milliardaire Vincent Bolloré – a insulté Louis Boyard, député et ancien chroniqueur, au cours d’une altercation télévisée à la violence inédite. Lundi, Cyril Hanouna a dit « regretter » ces insultes, sans s’excuser. Signe, semble-t-il, que l’animateur se sent intouchable.

Mais comment ce talk show, où des chroniqueurs devisent sur tout sans parfois rien connaître aux sujets, a-t-il pu s’imposer avec une telle force dans le débat public ? C’est peut-être qu’il a su combler un vide médiatique en redonnant la parole à des catégories de population peu audibles dans les médias : des individus issus notamment de deux « France périphériques », l’une des Gilets jaunes et l’autre des banlieues, que l’on n’entend ni sur les chaînes d’info, ni dans les émissions de décryptage, ni dans celles destinées aux jeunes. Voici comment cette position dominante s’est consolidée au fil des ans.

Coups de gueule et coups bas

Fut un temps où Touche pas à mon poste n’était pas encore la foire d’empoigne sensationnaliste que nombre de commentateurs lui reprochent d’être actuellement (sur Le Monde, Télérama ou Marianne, en guise d’échantillon). Lancée sur la chaîne France 4 en 2010, transférée deux ans plus tard sur C8 [devenue D8 en 2016], TPMP est à l’origine un programme de décryptage des médias, fait par des professionnels du secteur : journalistes, producteurs et animateurs venus d’horizons différents. À l’époque, l’ambiance est remuante mais bon enfant, les locuteurs abordent des thèmes qu’ils maîtrisent, puisqu’ils causent de leur métier. Cyril Hanouna, qui n’insulte personne, passe les plats avec la drôlerie que les fans de tennis goûtaient chez lui avant les directs de Roland-Garros, sur le service public, au tournant de 2010. Jusqu’en 2013, année où il reçoit pour la premier fois un élu de la République – Jean-Luc Mélenchon – « Baba » est un clown sympathique qui ne s’intéresse pas à la politique.