“Transracialisme” : mal dans sa (couleur de) peau ?

Début septembre, la professeur d’histoire et d’African studies à l’université George Washington Jessica Krug publiait sur son blog personnel un billet dans lequel elle admettait avoir menti pendant des années : elle se ferait passer depuis des décennies pour une Afro-Américaine alors qu’en fait, elle serait issue d’une famille du Kansas tout ce qu’il y a de plus blanche. Jessica Krug s’excusait pour l’ampleur du mensonge dans lequel elle s’était enfermée, et tentait une explication en convoquant les traumatismes de son enfance. Cette affaire ne fut pas sans rappeler le cas de Rachel Dolezal, l’ex-présidente du chapitre de Spokane (Washington) de la NAACP, la très influente Association nationale pour la promotion des personnes de couleur. Comme Krug après elle, Dolezal avait menti sur ses origines – en l’occurrence, c’étaient ses propres parents qui, dans un entretien de 2015, avaient révélé que leur fille était aussi blanche qu’eux-mêmes. Sauf que suite à ces révélations, Dolezal avait, elle, persévéré, prétendant qu’elle était bien noire en insistant sur le fait qu’elle s’identifiait comme telle.

Mais une telle chose est-elle seulement envisageable ? Le cas de Jessica Krug remet en tout cas cette question au centre du débat : peut-on “s’identifier” à une ethnie autre que la sienne ? Et doit-on accepter qu’à l’instar de Dolezal, certains se revendiquent “transraciaux” ? En tout cas, au-delà du fait divers, ces deux cas individuels font à nouveau émerger la problématique de l’identité personnelle. Dans quelle mesure cette identité est-elle déterminée par les conventions sociales – et dans quelles circonstances celles-ci peuvent-elles être transgressées ? Aux États-Unis, la comparaison avec l’identité transgenre est donc vite venue sur le tapis. Rebecca Tuvel, professeur au Rhodes College de Memphis, et Rogers Brubaker, professeur à l'UCLA, ont ainsi relevé que le scandale suscité par le cas Dolezal, inédit dans l’histoire, éclata pile au moment où, à l’opposé du spectre, Caitlyn Jenner se voyait érigée en icône de la cause transsexuelle par la une que lui consacrait le magazine Vanity Fair. En réalité, au centre de la comparaison entre Jenner et Dolezal – et, in extenso, entre transgenre et “transrace” –, on peut trouver ce qu’on nomme la “théorie de l’analogie”. Cette thèse postule que la race et le sexe sont des constructions sociales, entendre : des catégories aux caractéristiques déterminées par la société. Pour appréhender le genre, par exemple, nous nous basons sur les caractères sexuels primaires de l’individu ; et pour assigner à quelqu’un une origine ethnique, nous nous basons sur sa couleur de peau. Ou, justement, sur son origine. Par conséquent, la théorie de l’analogie exige que nous adoptions une attitude cohérente, et donc identique, aussi bien envers les personnes “transraciales” que les transsexuels.