Triviale politique

Lorsqu’elle est dénoncée, la « pipolisation de la politique » l’est généralement au nom d’une certaine idée de l’espace public. On stigmatise le comportement des politiciens qui adoptent sans prudence les conduites exhibitionnistes des personnalités du show-biz : mise en scène de la vie amoureuse, médiatisation des sentiments, étalage du moi. Pour un républicain sourcilleux, cette privatisation de l’espace public attente à la noblesse du politique qui relève justement d’une mise entre parenthèses de l’intime. En référence aux Grecs, on envisage avec nostalgie ce temps où la politique était presque sans visage, et ne portait que sur les enjeux communs. Sur l’agora, les citoyens (à condition d’être mâles et libres) ne délibéraient que sur ce qui valait pour tous, sans tirer argument de leurs vies privées.

Si de nombreux observateurs soulignent le fait que la « pipolisation » fait du tort à la politique, on se demande plus rarement quelles conséquences elle a sur l’intime. Il est légitime de regretter la fin de la pureté de l’espace public lorsque Nicolas Sarkozy choisit d’officialiser sa liaison amoureuse dans un parc d’attractions. Un républicain déplorera une nouvelle entorse au culte de la volonté générale, expulsée de l’agora pour s’installer à Disneyland. Mais ce n’est pas un « espace public » au sens politique du terme, plutôt un espace marchand voué à la consommation et aux plaisirs éphémères. La vérité est qu’on imagine mal ces lieux propices à l’échange des sentiments. Le soupçon est dès lors inévitable : qu’est-ce qui a pu motiver le Président, et ses conseillers en communication, à privilégier un tel site pour déclarer publiquement son amour ? Cette exhibition de soi peut-elle avoir un autre but qu’utilitaire et médiatique ? Disneyland « fait peuple », il y a donc lieu de miser sur la proximité que ces images suggéreront entre le Président, la chanteuse et la foule. Il reste que le jugement du cœur, conforté par des sondages désastreux, indique que cette mise en scène blesse plus qu’elle ne séduit. Il ne s’agit pas ici de la « pipolisation de la politique », mais de celle de l’intime dont nous continuons à croire qu’il n’est pas soluble dans le crépitement des flashes et le mouvement des caméras.