Europe

Virginie Maris : “Il faut faire de l’Europe une terre de refuge et de migrations”

Virginie Maris, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 6 min

Pour la philosophe Virginie Maris, spécialiste de l’environnement et auteur de La Part sauvage du monde (Seuil, 2018), l’Europe a inventé une certaine idée de l’écologie politique. Elle doit maintenant trouver les moyens d’affronter la crise climatique.

 

La nature est-elle une invention européenne ? 

Virginie Maris : Le terme de « nature » est en tout cas, et par définition, éminemment européen, car il se trouve à la rencontre des deux grandes racines linguistiques de notre continent : en grec, physis signifie « jaillissement », source de création et de recréation permanente du monde. Ce concept fut traduit en latin par naturae, qui signifie la « naissance ». Au cours du temps le terme de nature a pris plusieurs sens : le grand Tout, la normalité, ou encore ce qui se distingue de la culture, de l’artifice, de la fabrication. Pour ma part, je désigne par « nature » cette part du monde que nous n’avons pas créée. Mais dans cette définition en creux de la nature, comme l’envers de l’artifice, on retrouve la conception moderne d’un dualisme entre nature et culture, elle aussi très européenne. Or, pour les Modernes, la nature n’est pas quelque chose que l’on respecte ou que l’on protège mais que l’on doit bien au contraire asservir, domestiquer ou rendre productive. Nous pourrions donc penser que nous sommes mal partis pour chercher en Europe les sources les plus originales et les plus fortes de la protection de la nature.

Néanmoins, il y a bien une spécificité de l’Europe qui pourrait représenter un atout : c’est un continent densément peuplé, habité, aménagé, où il est très difficile de séparer ce qui relève de la nature de ce qui relève de la culture. Ici, toutes les forêts, à l’exception de celle de Bialoweza en Pologne, sont des forêts secondaires, qui ont été intensément défrichées, exploitées, plantées. De même, tout le littoral européen est façonné par les activités humaines : endiguement des deltas, salins, ports de pêche et ports industriels auxquels se sont ajoutées les infrastructures du tourisme de masse. Nous avons donc un paysage façonné par l’activité humaine, déjà bien avant la révolution industrielle. Paradoxalement, l’Europe est le berceau de la séparation théorique entre nature et culture, mais cette distinction ne s’est pour ainsi dire jamais incarnée dans le monde réel, l’Europe étant un continent d’intrication entre des milieux naturels et des milieux anthropisés. Cette tension crée une dialectique intéressante. C’est par exemple en Europe qu’est née l’idée de protéger la nature, chez les peintres de l’école de Barbizon qui sont parvenus à faire de la forêt de Fontainebleau la première réserve naturelle de l’histoire. C’est avec eux que naît l’idée de soustraire volontairement à l’exploitation, à l’usage, à la transformation, une portion de nature en tant que nature. 

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