Déserter

Une recension de Philippe Garnier, publié le

« Il est presque incapable de gravir les quelques kilomètres qui le séparent encore de la cabane, de la maison, des brumes violettes et des creux de nuages. C’est son fusil qui le porte et le guide, aiguille démesurée d’un compas magique, bâton d’un sourcier de mort. » Dans une région du littoral méditerranéen, un homme à bout de forces traverse le maquis. Que fuit-il ? Pas tant un ennemi à ses trousses que la guerre elle-même. On apprend qu’avant sa longue traversée, il a tué, torturé, violé. Peu à peu, la garrigue bruissante d’abeilles lui devient plus familière. Il y retrouve les vestiges de sa vie antérieure et une masure perdue dans les orangers, qui lui servira de refuge. Une rencontre l’attend, qui va rétablir pour lui la valeur de la vie humaine.

Dans une construction singulière, Déserter fait vivre deux récits qui alternent sans interférer l’un avec l’autre, ni former de trame commune. Parallèlement à la première histoire se déploie donc celle de Paul Heudeber, grand mathématicien du XXe siècle, ancien déporté à Buchenwald et spécialiste de la topologie algébrique. Jusqu’à son suicide dans les années 1990, il reste un pilier du parti communiste de la RDA. Adossé à l’algèbre et au marxisme-léninisme, il cherche dans la pureté des mathématiques un antidote à la barbarie.

Qu’est ce que déserter ? En principe, c’est fuir son propre camp. Ce peut-être aussi, par une fidélité immuable à un monde révolu, devenir un étranger au temps présent. Ainsi de Paul Heudeber, qui ne peut ni ne veut comprendre la nouvelle société postsoviétique. Peu à peu, son histoire et celle du soldat perdu entrent en résonance. Dans la lignée de Zone, paru en 2008, Mathias Énard mêle à une méditation sur la violence aveugle et le cycle perpétuel de la guerre, un sens aigu de la beauté du monde.

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