Vers l’écologie profonde

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

Son nom ne vous dit peut-être rien. Même chez les écolos, il passe parfois pour un hurluberlu radical – pour le fondateur d’une « écologie profonde » un peu ésotérique. C’est pourtant sous un tout autre visage que se présente le philosophe norvégien Arne Næss dans cette autobiographie dialoguée de 1973, richement illustrée et rééditée par Wildproject. Curieux et modeste, affable et généreux, Næss y revient sur son parcours mouvementé, passant sans cesse de la légèreté au sérieux, de ses bizarreries d’enfant – pour accepter de prendre son bain, il exige que sa mère capture une mouche au préalable – à son engagement dans la résistance au nazisme (il contribuera, en particulier, à sauver « des milliers » d’étudiants de la déportation en 1943). Si l’on imagine souvent Næss reclus loin du monde dans sa cabane de Tvergastein, le philosophe est tout sauf un ermite qui aurait renoncé à l’action dans la Cité. Un Allemand lui dira même, un jour, après la guerre : « Toi, Næss, comme beaucoup de Norvégiens, vous êtes d’incurables rénovateurs du monde. » Le penseur assume l’utopie, mais la reconduit à une expérience de décentrement : « C’est le privilège des petits pays que […] de dire : “Le monde devrait être comme ceci ou comme cela.” » Comme la Norvège dans le concert des nations, Næss, précurseur de l’écologie, cultivera toujours une certaine marginalité. Il se retrouve volontiers dans la vie comme dans la pensée de Spinoza, l’excommunié d’Amsterdam. « De mon point de vue, il est possible de faire dériver l’essentiel des positions de l’écologie profonde d’un système total tel que celui de Spinoza », ose-t-il. Avec son idée de Deus sive natura (« Dieu ou la nature »), Spinoza transforme le regard porté sur le monde : « Fondamentalement, tous les êtres vivants ne font qu’un. » Se réaliser ne consiste alors, aucunement, en un repli sur soi-même. La réalisation de soi est une ouverture attentive et empathique, un engagement dans la cité terrestre de tous les êtres humains et non humains. À l’image de la vie même de Næss.

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