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Antonio Gramsci © NPL-DeA Picture Library/Bridgeman Images

Dossier/Comment la droite s’est emparée des esprits

Antonio Gramsci. Le pouvoir se conquiert sur le terrain des idées

Alexandre Lacroix publié le 17 février 2022 16 min

« Intellectuel organique », « hégémonie », distinction entre « domination » et « direction », différence entre « guerre de mouvement » et « guerre de position »… le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci a forgé quelques-uns des concepts les plus efficaces pour penser le processus par lequel se gagne le pouvoir. Problème : c’est un inconnu célèbre, son œuvre fragmentaire et subtile reste peu lue, bien que ses idées soient citées par la droite et l’extrême droite – souvent de façon tronquée ou déformée. Pour découvrir ce destin et cette pensée hors norme, replongeons-nous dans le contexte de l’Italie fasciste de l’entre-deux-guerres et déplions la vision du monde de ce penseur, si utile pour saisir notre époque.

 

« Pour vingt ans nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner » : c’est par ces mots que le procureur Michele Isgrò, qui siège en uniforme au Tribunal spécial fasciste, conclut son réquisitoire contre Antonio Gramsci, dirigeant du Parti communiste d’Italie, le 2 juin 1928. Il faut croire que le juge, également en uniforme, le prendra au mot : la sentence prononcée deux jours plus tard condamne Gramsci à vingt ans, neuf mois et quatre jours de réclusion, pour incitation à la guerre civile, appel à l’insurrection et apologie du crime. Or la phrase n’est pas absurde, et les fascistes n’ont pas tort de voir dans l’intelligence de Gramsci une arme politique redoutable. En effet, la vie et l’œuvre de cet homme peuvent être appréhendées, d’un seul bloc, comme une occasion de méditer sur le pouvoir d’action et de transformation historique de la philosophie.

 

À nous deux, Turin !

Antonio Gramsci est né le 22 janvier 1891 dans la petite ville d’Ales, en Sardaigne. D’une fratrie de sept, il est le quatrième. Le moins que l’on puisse dire est qu’il part sans atout : vers l’âge de 18 mois, une tuberculose osseuse, ou mal de Pott, se déclare, qui le laissera bossu et gênera sa croissance – adulte, Gramsci ne dépassera pas 1,50 mètre. À 4 ans, il souffre de convulsions et d’hémorragies, le médecin de famille le donne pour mort, sa mère confectionne un linceul et achète même un petit cercueil. Il survit. Quand il atteint l’âge de 7 ans, son père, qui travaille comme contrôleur dans un bureau d’état civil et qui a trempé dans des fraudes électorales, est condamné à cinq ans de prison. La famille plonge alors dans une misère noire. Après son certificat d’études, le jeune Antonio est contraint de travailler comme grouillot, à raison de dix heures par jour, six jours sur sept, au bureau du cadastre de Ghilarza, tandis que sa mère réalise des travaux de couture sur sa machine Singer. C’est seulement à la libération de son père que leur situation matérielle s’améliore et qu’Antonio peut retourner à l’école. Ses résultats y sont brillants, et le bac en poche, il remporte une bourse qui lui permet de s’inscrire en lettres à l’université de Turin.

Mais sa bourse se révèle insuffisante, lui permettant à peine de se loger et de manger, mais pas de se chauffer : « La préoccupation du froid était telle qu’elle ne me permettait pas d’étudier, parce que je devais marcher en rond dans ma chambre pour me réchauffer les pieds ou bien rester emmitouflé », se souviendra-t-il dans une lettre. S’il ne parvient pas à décrocher la Laurea, qui donne en Italie le titre prestigieux de « docteur », Gramsci se lie d’amitié avec d’autres étudiants nourris d’idéaux socialistes, en particulier avec Palmiro Togliatti – Sarde également – et Angelo Tasca, qui deviendront plus tard avec lui des membres fondateurs du Parti communiste d’Italie.

© Fototeca/Leemage

Des « gardes rouges » occupent une usine, à Milan, en septembre 1920, durant le mouvement Biennio Rosso (« deux années rouges »). © Fototeca/Leemage

C’est aussi à Turin qu’il fait ses débuts dans un métier qu’il exerce en continu de 1914 à 1926, le journalisme. D’abord dans Il Grido del Popolo (« le cri du peuple »), puis dans L’Avanti !, quotidien du Parti socialiste italien. En mai 1919, il fonde avec Togliatti et Tasca une revue à la périodicité variable, L’Ordine Nuovo (« l’ordre nouveau »). L’apport de cette revue, qui lance le courant de pensée dit « ordinoviste », est de vouloir tisser des liens entre les intellectuels et les ouvriers. Rappelons que Turin, principale ville du Piémont, est dans ces années d’immédiate après-guerre le cœur de l’industrie sidérurgique et automobile de l’Italie, en plein boom, et les ordinovistes s’efforcent d’apporter aux ouvriers une éducation politique et culturelle. Ils les encouragent même à créer des « conseils d’usine ». Selon le projet ambitieux d’Antonio Gramsci, exposé dans son article « Démocratie ouvrière » (paru en juin 1919), ces conseils ne devraient pas regrouper seulement les ouvriers syndiqués mais être ouverts à tous, leur rôle étant de donner aux ouvriers les connaissances nécessaires pour piloter eux-mêmes la production, de manière de plus en plus autonome, puis de servir de base pour la formation d’un futur État socialiste. Bien plus tard, dans les années 1960, ce programme ordinoviste inspirera l’opéraïsme italien, dont est issu de nos jours le philosophe Antonio Negri (lire l’entretien dans Philosophie magazine n° 121 et sur Philomag.com).

 

L’URSS, l’amour… et le Duce

Alors que l’aventure de l’URSS exerce une fascination sur la gauche de la Péninsule, est créé le Parti communiste d’Italie, résultat d’une scission interne du parti socialiste lors de son XVIIe Congrès, à Livourne, le 15 janvier 1921. Quel rôle peut y jouer Antonio Gramsci ? Il n’a pas une carrure d’orateur, son physique semble le disqualifier pour mener campagne, aussi en devient-il le délégué auprès de l’Internationale communiste, ce qui lui vaut de partir pour Moscou le 26 mai 1922.

Quand il arrive dans la capitale soviétique, il est épuisé, si bien qu’il doit séjourner dans une clinique du district d’Ivanovo. Il y fait la rencontre d’une jeune femme, Eugenia Schucht, puis se lie avec sa sœur Giulia, dont il tombe amoureux. « J’ai beaucoup pensé à toi, tu es entrée dans ma vie et tu m’as donné l’amour et tu m’as donné tout ce qui m’avait toujours manqué et me rendait méchant ou trouble » (lettre du 30 juin 1924). L’idylle n’est pourtant pas simple : leur union ne dure que quatre années, ils ne se voient que par intermittence, ne se marient probablement pas (même si ce point fait débat) et ont deux fils – Delio, né le 10 août 1924, et Giuliano, né le 30 août 1926. Ce dernier, Antonio Gramsci ne l’a jamais connu.

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Article issu du dossier "Comment la droite s’est emparée des esprits" février 2022 Voir le dossier
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