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Hayat dans “Polaris” (Ainara Vera, 2022). © Point du Jour, Les Films du Balibari et Ánorâk Film

Cinéma

“Avec ‘Polaris’, j’ai cherché à rendre visible l’invisible” : entretien avec la réalisatrice Ainara Vera

Ainara Vera, propos recueillis par Ariane Nicolas publié le 21 juin 2023 6 min

Le film documentaire Polaris (2022), de la réalisatrice espagnole Ainara Vera qui signe ici son premier long-métrage, raconte l’histoire de Hayat, une capitaine de bateau française partie près du cercle polaire pour se reconstruire. Une odyssée intime magnifique, qui questionne notre capacité à surmonter les traumatismes du passé.


 

Polaris est un film documentaire qui nous fait voyager entre l’Islande et Montauban. Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?

Ainara Vera : J’ai rencontré Hayat pour la première fois en 2018, lors d’un tournage. J’étais la première assistante de Viktor Kossakovsky sur le documentaire Aquarela. L’Odyssée de l’eau (2020), qui se situait déjà au Groenland. Sa personnalité m’a tout de suite inspirée : une jeune femme capitaine de bateau, qui navigue au milieu des icebergs… Nous avons fait ensemble un premier voyage, assez rocambolesque, entre le Portugal et le Groenland. C’est là qu’elle a commencé à se livrer et m’a raconté sa tragique histoire familiale. Hayat n’a pas connu son père, sa mère était une toxicomane qui a passé du temps en prison avant de mourir à son tour… Pour le documentaire, nous avons tourné au Groenland, en Islande et dans le Sud de la France, d’où elle est originaire et où vit encore sa sœur. Hayat est une femme forte, qui a un rapport compliqué aux émotions. Elle a dû mettre une distance entre elle et le monde pour pouvoir survivre. Son métier de capitaine au long cours l’y aide, mais son entourage en souffre parfois.

 

Le titre du film, Polaris, évoque le cercle polaire près duquel Hayat navigue, et l’étoile grâce à laquelle on la voit s’orienter. Mais il renvoie aussi à la vie intime d’Hayat, qui entretient une relation intense avec sa sœur Leïla, comme si ces deux femmes étaient les deux faces d’une même pièce.

En effet. Leïla a une existence aux antipodes de sa sœur. Au moment du tournage, Leïla sortait de prison, elle était enceinte et avait une vie sédentaire, à Montauban. C’est une femme moins rationnelle, moins cadrée émotionnellement que Hayat. Elles partagent toutefois le même traumatisme d’enfance, qui est de n’avoir reçu aucun amour parental, notamment maternel. Ce passé tragique a soudé entre elles un lien unique, comme si elles avaient au fond une même identité, un même noyau. Toutes deux continuent de porter cette déchirure en elles. À l’approche de la trentaine, Hayat semble toujours incapable d’aimer, tandis que Leïla surmonte sa douleur en trouvant un nouvel équilibre auprès de son enfant. Je trouvais intéressant de filmer cette différence de tempérament, cette dualité, et en même temps de montrer qu’elles font toutes les deux preuve d’une impressionnante résilience.

 

Hayat semble plus à l’écoute de sa souffrance intérieure, mais cette meilleure connaissance d’elle-même lui permet-elle vraiment d’aller mieux ?

Son histoire m’a fait penser à un dilemme philosophique, que vous connaissez peut-être, celui de l’esclave endormi [élaborée à la fin de la Première Méditation des Méditations métaphysiques de Descartes]. Si vous marchez et que vous tombez sur un esclave endormi, que faites-vous ? Vous le réveillez pour lui signaler qu’il est un esclave, et qu’il devrait briser ses chaînes, ou vous le laissez tranquille, parce qu’il est peut-être en train de rêver de liberté ? Je ne sais pas quelle situation le rendrait plus heureux. C’est la même chose pour Hayat. Avoir conscience des obstacles qui entravent notre accès au bonheur, cela ne permet pas forcément d’aller mieux. Parfois, la situation est trop inextricable. Ce que je sais en revanche, c’est que ce travail sur soi permet à Hayat d’avoir une forme de contrôle sur sa vie. Elle est plus indépendante et plus affirmée que sa sœur, ne serait-ce que d’un point de vue professionnel, social. C’est un grand avantage.

 

Elle évolue quand même dans un milieu difficile. Comment fait-elle face ?

Hayat a choisi le métier de capitaine de bateau pour fuir sa vie d’avant. Je pense qu’elle se sent bien dans ce milieu un peu hostile. Elle n’éprouve pas la sensation de danger comme une personne habituelle, elle est trop aguerrie pour ça. Au début du film, je la montre en train de réparer le bateau elle-même ; plus tard, on la voit se guider grâce à un sextant, cet instrument de navigation ancien qu’on utilise encore en cas de panne de GPS. Tout cela va de soi, pour elle. Elle est à l’image de son bateau, une force paisible, solide, au moins en surface, qui vogue entre les blocs de glace. Hayat n’en reste pas moins une femme, et dans ce milieu encore sexiste, elle est parfois confrontée à des comportements violents. Elle est notamment victime d’une agression sexuelle. Je devais raconter ce moment mais c’était très difficile, car Hayat elle-même avait du mal à le verbaliser. J’ai choisi de mettre sa voix en hors-champ, sans montrer son visage, et de filmer l’océan à la place.

 

Justement, pourquoi ne pas avoir filmé son visage pendant cette séquence ? On a parfois le sentiment que les émotions, vous les cherchez dans la nature plus que dans vos personnages.

Je n’ai pas besoin de tout montrer, je fais confiance au spectateur pour comprendre de lui-même les émotions qui traversent Hayat. Il faut lui laisser un peu d’espace pour qu’il puisse le remplir avec son propre ressenti. C’est aussi pour cette raison que je filme des paysages, un océan qui roule ses vagues, une terre fumante, une cabane isolée, comme un reflet de l’inconscient de Hayat. Je voulais rendre visible l’invisible, donner à voir ses traumas sans contraindre le regard du spectateur. Hayat a trouvé une forme de paix grâce à cette nature, ces paysages majestueux et solitaires sont à son image. Je me méfie moins qu’elle des êtres humains, mais je crois quand même que parfois, il faut prendre ses distances avec les émotions car elles font écran à la réalité. Elles ne permettent pas de mieux comprendre ce qui nous arrive, pourquoi cela nous arrive, comment nous devrions nous comporter. Je considère les émotions fortes avec prudence. Je préfère m’intéresser aux vérités qu’elles cachent, aux idées qu’il y a derrière, et qui sont parfois assez éloignées de celles-ci.

 

Il se dégage une grande douceur de ces images du Grand Nord, sublimes. C’était important pour vous, que le documentaire ait cette tonalité ?

Oui. La vie de Hayat et Leïla a été très mouvementée, mais le documentaire ne doit pas être le reflet de leur subjectivité à elle. Je reste maître de la vision qu’offre le film. Et le regard que je pose sur le monde n’est pas furieux. Je voulais que mon film transmette un certain calme, quelque chose de sensoriel, « paisible » comme dit Hayat à un moment. Je ne voulais pas filmer quelqu’un qui se bat avec les éléments pendant une tempête, ou un bateau qui aurait un accident à cause d’un iceberg. Je serais tombée dans la caricature. La beauté de l’onde, de la glace, des falaises, d’un oisillon échappé d’un nid, ce mouvement de la vie se suffit à lui-même.

 

Vous semblez avoir foi dans la nature humaine, par-delà les difficultés que l’existence peut poser. Comme Rousseau, vous pensez que l’être humain est bon et doux par nature ?

J’ai donné naissance à un bébé il y a quelques mois. J’ai remarqué une chose : dans les premières semaines, avant même qu’il n’arrive à prendre quelque chose entre ses mains ou qu’il se tienne assis, il faisait une chose – il souriait. Et plus encore, il cherchait mon sourire. Je crois que ça répond à votre question !

 

Polaris, d’Ainara Vera, sort en salles aujourd’hui, le 21 juin 2023.

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