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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Camille Laurens et Pierre Zaoui en 2019 © Franck Ferville

Dialogue

Camille Laurens/Pierre Zaoui. J’y pense et puis je m’oublie

Pierre Zaoui, Camille Laurens, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 02 juillet 2019 12 min

Et si c’était à travers la perte, l’échec, la souffrance, que l’on avait une chance de devenir soi-même ? Pour l’écrivaine des amours et le philosophe auteur de La Traversée des catastrophes, c’est surtout le désir, même le plus embarrassant, qui signe notre adéquation à nous-même.

Pierre Zaoui : L’injonction contemporaine et publicitaire à être soi-même tout le temps, sur le mode du « be yourself », est absurde et contradictoire. Rien ne tue davantage mon désir que d’ordonner : « Désire  ». De même essayer de correspondre en permanence à l’impératif « Sois toi-même » est le meilleur moyen de ne pas y parvenir. C’est d’ailleurs un motif tout récent dans l’histoire. Pendant très longtemps, la question était de savoir si l’on était adéquat à Dieu, à la Patrie, à sa place dans l’Univers – pas à soi-même.

 

Camille Laurens : Je ne crois pas non plus à l’authenticité, ce terme tellement à la mode aujourd’hui. Il n’y a pas de « moi profond » qu’il faudrait retrouver ou exhiber. Il existe un clivage, d’abord entre soi et les autres, mais aussi, de façon plus intime et parfois inconsciente, à l’intérieur même de soi. Dans Celle que vous croyez, je raconte l’histoire d’une femme de 48 ans divorcée avec deux enfants. Elle se fait passer, sur les réseaux sociaux, pour quelqu’un de beaucoup plus jeune et entame une histoire d’amour virtuelle avec un jeune homme. Elle s’identifie à ce double, qui devient son véritable moi. Et ce n’est pas un artifice mensonger, car elle sent en elle cette jeunesse et la possibilité d’aimer quelqu’un d’autre que ce que son âge et son statut social lui imposent. Elle expérimente simplement des virtualités. D’autres possibles font partie d’elle-même.

 

P. Z. : Pour être soi-même, il faudrait que ce « soi-même » existe vraiment. Or Claude Lévi-Strauss a raison de dire que le moi est « l’insupportable enfant gâté de la philosophie », qu’il faudrait plutôt placer le monde avant la vie, la vie avant l’homme et l’homme avant le soi. Car qu’est-ce que le moi, au fond ? L’archive de nos identifications successives, c’est-à-dire l’ensemble des mensonges que nous nous sommes racontés à nous-mêmes. Saviez-vous, par exemple, que j’ai gagné au moins deux cents fois le tournoi Roland-Garros ? Avec ma raquette en plastique et ma balle en mousse sur la porte du garage. Eh bien, ce « soi » deux cents fois vainqueur n’a vraiment aucun intérêt.

 

C. L. : Moi qui adore le tennis, je n’ai jamais gagné de tournoi…

 

P. Z. : C’est que vous êtes moins vaniteuse et moins infantile que moi. Pour ma défense, quand je m’imaginais battre Borg et McEnroe, j’avais 8 ans…

 

C. L. : Le problème est que ce fantasme de toute-puissance est encouragé par les injonctions publicitaires qui nous disent : « Ne te donne pas de limite », « Exprime-toi », « N’aie aucune retenue ». Cela donne dans la vie courante des gens qui agissent sans aucune gêne, qui débitent des horreurs et se justifient tranquillement en disant : « Je suis comme ça », « Il faut me prendre comme je suis ».

 

P. Z. : C’est sur ce point qu’il est très problématique d’être soi-même. En un certain sens, le « soi-même » est celui qui ne refoule pas, comme le mari tyrannique et odieux interprété par Jean Yanne dans le film Que la bête meure [1969] de Claude Chabrol. Celui qui dit spontanément l’ensemble du champ de son désir rend la vie sociale absolument impossible. C’est pourquoi dans la vie réelle, et non dans la sphère publicitaire, on vous demande très rarement d’être vous-même. Au quotidien, mes amis, la femme que j’aime, mes enfants, mes collègues m’enjoignent absolument à ne pas être moi-même. Et ils ont bien raison ! Il n’est pas du tout certain qu’être soi-même soit une bonne chose. Un certain nombre de jeunes gens qui se sont engagés pour Daech se sont trouvés eux-mêmes, et même peut-être le meilleur d’eux-mêmes. Ils ont enfin découvert un sens à leur vie, une appartenance, une identité. Cela peut être terrible d’être soi. À un niveau plus quotidien, on est souvent totalement nul quand on est soi-même. Être soi-même, c’est souvent n’être qu’un petit soi pas très en forme. 

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