Comment “Les Soulèvements de la Terre” réinventent la lutte écologique
La dissolution des « Soulèvements de la Terre » est au programme du Conseil des ministres de ce mercredi. Le collectif d’associations, dont plusieurs membres ont été arrêtés mardi, s’est attiré les foudres du pouvoir et l’attention du grand public par des actions coup de poing qui assument la confrontation, loin de la non-violence prônée par la plupart des mouvements écologistes. Panorama des nouveaux modes de lutte.
Empêcher l’adaptation, promouvoir la bifurcation
« Une lutte d’un nouveau genre car elle concerne la stratégie d’adaptation au changement climatique » : c’est en ces termes que le philosophe Andreas Malm, l’un des principaux théoriciens qui inspirent Les Soulèvements de la Terre, qualifiait l’opération de Sainte-Soline, qui a fait connaître au grand public ce mouvement. Les mégabassines, au-delà des dégâts qu’elles sont susceptibles de causer, sont perçues comme une tentative pour s’adapter aux conséquences du changement climatique dont il est l’origine (ici, les sécheresse), plutôt que de remettre profondément en question les modèles de l’agriculture intensive et de l’industrie agro-alimentaire. Ce que certains nomment « bifurcation », soit une manière plus radicale de prendre en compte le réchauffement climatique dans notre manière de vivre et de produire.
Occuper l’espace, reprendre du terrain
C’est un objectif explicite des Soulèvements, qui hérite largement du modèle de la ZAD : lancer « des actions d’occupation de terres contre l’artificialisation », et dans l’horizon d’une « reprise de terre ». Sainte-Soline en est un exemple. Mais le mouvement vise également l’« occupation des lieux de décision ».
Saboter de manière concertée
Dans la lignée du livre Comment saboter un pipeline ? (La Fabrique, 2020) d’Andreas Malm, les activistes des Soulèvements pratiquent le sabotage contre les industries polluantes. Récemment, ils ont ainsi bétonné l’arrivée d’eau de la centrale à béton BHR de Nantes pour l’empêcher de fonctionner. Le sabotage vise également, et même prioritairement, l’industrie agro-alimentaire : arrachage des champs de muguet de l’entreprise Vinet et saccage des serres de Pont-saint-Martin (44), où sont expérimentés différents pesticides et testées des méthodes de culture en sable « non vivrières ou tournées vers l’exportation ». L’ensemble des actions est pensé comme un tout cohérent. Il s’agit de lutter contre l’alliance de fait entre l’agro-alimentaire et l’industrie du sable, responsable d’une « artificialisation massive des sols ». L’initiative se double, au-delà de la dimension destructrice, d’un volet plus créatif : « Remplacer les cultures expérimentales par un semis de sarrasin bio ».
S’allier aux non-humains
À Notre-Dame-des-Landes (44), certains zadistes « ont cherché à faire revenir une plante protégée par la loi, la gentiane des marais, qui pouvait constituer un obstacle légal de plus au projet d’aéroport », écrivaient Antoine Chopot et Lena Balaud dans Nous ne sommes pas seuls (Éditions du Seuil, 2021). « Quelques mètres carrés du sol d’une lande ont été mis à nu pour favoriser la germination de Gentiana pneumonanthe dont les graines étaient a priori encore stockées dans le sol. » Ces stratégies d’alliance inter-spéciques sont également mobilisées par le collectif Les Soulèvements de la Terre. Dans le cadre de la lutte contre l’autoroute A133-A134 dans la région de Rouen (76), Les Soulèvements ont lancé la « première action naturaliste de masse » : ils ont créé des habitats destinés à attirer des espèces protégées afin de freiner la progression des travaux. Au programme : creusement de mares pour accueillir des salamandres, scarification des arbres pour offrir un abri au grand capricorne, un coléoptère qui niche dans le chêne, pose de nichoirs pour des micromammifères nocturnes, les muscardins.
Tendre des pièges dans la nature
C’est encore pour freiner les travaux de l’autoroute A133-A134 que certains membres des Soulèvements ont entrepris de clouter les troncs d’arbre afin d’enrayer et de casser les tronçonneuses. On peut y voir une forme de sabotage par anticipation. L’objectif : « [armer] la forêt […] contre l’autoroute », lui permettre de se défendre. « Nous sommes la nature qui se défend », scandent volontiers les militants.
Et maintenant ?
« Il y a clairement un potentiel d’élargissement et de réinvention du répertoire d’actions militantes », concluait Antoine Chopot dans un entretien. Une réponse au diagnostic qu’il posait dans Nous ne sommes pas seuls : « La radicalité d’une situation écologique hors de contrôle […] requiert d’inventer d’autres formes d’action collective. » Cette inventivité des moyens de lutte, parce qu’elle répond à la nécessité d’imaginer d’autres manières de vivre ensemble et d’habiter la Terre, témoigne d’une appropriation de la question politique. L’action politique, comme le notait Hannah Arendt, est une ouverture à l’inédit. Tout, dans le répertoire d’action des Soulèvements, n’est évidemment pas nouveau. Mais le groupement d’association, dans sa pluralité, est assurément un espace où mature la nouveauté. Une nouveauté qui peut déranger, déplaire, voire être désormais jugée illégale. Difficile d’imaginer cependant qu’une dissolution des Soulèvements fasse définitivement taire ces nouveaux modes d’action à l’avenir.
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