Connais-moi toi-même !

Camille Laurens publié le 4 min

Pour Camille Laurens, faire l’amour permet de dépasser une impossible communication en une authentique communion, d’égal à égal.

Il y a quelques années, j’ai aimé un homme qui, vu de l’extérieur, représentait tout ce qu’une femme généralement déteste : goujat, menteur, oublieux, négligent. Il donnait l’impression que l’autre n’existait pas, il semblait indifférent à toute forme d’altérité. Mon passé, mes projets, mes émotions, mes chagrins, rien n’avait l’air de l’intéresser, il ne posait jamais de questions, un vague ennui l’enveloppait même souvent, il aurait volontiers remplacé ma compagnie par celle de n’importe qui, homme ou femme – c’est du moins ce que trahissait sa conduite. Sa capacité d’empathie frisait le néant. Il paraissait n’être jamais tout à fait là, mais dans un ailleurs où ses rêves toujours déçus se réaliseraient enfin. Mon entourage ne comprenait pas, mes proches en étaient venus à penser qu’une solide emprise sexuelle expliquait seule pareille mésalliance.

La clef de l’énigme n’était pas tout à fait celle-ci. Nul savoir-faire, nulle performance dans tout cela. Ce qui est vrai, c’est qu’en cet homme le rapport sexuel accomplissait une métamorphose. Pas toujours, certes, mais le plus souvent, il arrivait cette chose extraordinaire : lui si taciturne, si éloigné de toute compréhension, devenait attentif, ardent, patient, tendre. Ses paroles et ses gestes avaient une intensité qui ne permettait pas de douter de leur vérité, il s’y engageait, sa présence était totale, physique, mentale, sensible. L’homme désaffecté se remplissait d’émotion au premier contact des corps, l’homme lointain acceptait l’intimité la plus grande dès que nos mains se touchaient, nos lèvres, nos jambes. La parole gelée devenait fluide, je pouvais dire mes pensées, mes sentiments, soudain il les comprenait, il lisait même dans mes silences, répondait à mes gestes, et moi j’entendais l’inouï, la générosité, la bonté humaines. Des sécrétions du corps aux secrets de l’âme, il n’y avait plus que l’épaisseur de la peau. La rencontre des corps nous permettait de nous embrasser littéralement l’un l’autre, corps et âme, c’est-à-dire à la fois de nous étreindre et de nous comprendre, de nous comprendre en nous étreignant.

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