Daft Punk / “Get Lucky” / 2013

Philippe Chevallier publié le 2 min

Une musique n’a trouvé sa juste forme, et donc sa nécessité propre, qu’en épuisant toutes les possibilités.

Un pur ravissement, presque inhumain. Depuis la révolution phonographique, contemporaine de la production des premiers tubes à pâte dentifrice molle, la chanson est un agencement de sons fixés sur un support. Un tube peut se passer de tout, sauf d’une console et du courant électrique. Les Français Daft Punk poussent cette logique à son terme : non pas seulement parce qu’ils créent à partir d’un matériau sonore – c’est le fait de toute la musique électronique depuis les années 1950 ; mais parce qu’ils font de cette création une pure dépense énergétique. Get Lucky, c’est d’abord mille et un fichiers son enregistrés par le duo sur plusieurs années. Composer n’est plus un moment spirituel qui se distinguerait de l’action. Composer, c’est jouer, essayer, avancer sans véritable direction, laissant le chaos lentement s’organiser. Le fameux « We’re up all night to get lucky », répété vingt fois comme un mantra, n’est-il pas la description d’une nuit passée en studio plutôt que celle d’un amour shéhérazadien ? Get Lucky est une musique qui n’a trouvé sa juste forme, et donc sa nécessité propre, qu’en épuisant toutes les possibilités. D’où cette impression finale, si abstraite, de ligne claire. Y a-t-il encore quelqu’un dans cette musique, dont les auteurs ne se montrent que casqués ? Le métier parfaitement rodé et l’intensité de l’effort physique conjurent désormais le temps de l’esprit, qui est celui de l’incertitude, mais aussi de la nouveauté : pas un riff, pas une suite d’accords dans Get Lucky qui n’ait été entendue auparavant. La musique populaire a toujours été un art de la reprise, produisant chez l’auditeur ce plaisir intense de la reconnaissance. À l’heure des requins de studio, cette reprise devient une obsession, qui dévore tout le processus de création par la recherche de sa propre perfection : essayer encore, refaire encore, refaire mieux ; comme de parfaites machines sonores.

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