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Dan Sperber et Gérald Bronner. © Serge Picard pour PM

 

Dossier / “Penser, c’est dire non ?”

Dan Sperber-Gérald Bronner : L’esprit critique rend-il complotiste ?

Dan Sperber, Gérald Bronner, propos recueillis par Alexandre Lacroix publié le 02 juin 2022 13 min

La raison nous permet-elle de critiquer les autorités politiques, médiatiques ou scientifiques, et de forger notre propre avis en toute indépendance ? Ou bien est-elle un outil que nous employons pour convaincre les autres d’adhérer à nos opinions les plus folles et justifier jusqu’à l’injustifiable ? Ce sont ces questions qui ont été au cœur du dialogue entre le sociologue Gérald Bronner et le chercheur en sciences cognitives Dan Sperber.

 

Voici deux phrases : « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre ans devant elle » (attribuée à Albert Einstein) et « La disparition des abeilles au Maroc est due à la normalisation des relations avec Israël » (selon le prédicateur Abouzaid al-Mokrie al-Idrissi, interviewé sur Russia Today le 1er février 2022). Laquelle de ces deux affirmations vous paraît la plus fausse ?

Dan Sperber : La première ! La disparition des abeilles aurait sûrement des effets délétères, mais annoncer la fin de l’humanité dans quatre ans – pas trois, pas cinq ! – n’a aucun sens. Pour l’autre, on pourrait imaginer un scénario où la normalisation des relations entre le Maroc et Israël irait de pair avec de nouveaux accords commerciaux et l’importation massive au Maroc d’un désherbant nocif aux abeilles. Il existe donc un récit – bidon, mais pas inconcevable – où cette affirmation ne serait qu’un raccourci trompeur.

 

Gérald Bronner : Ces deux phrases sont fausses, mais celle d’Einstein est plus crédible. D’abord, parce qu’il y a un effet de médiateur de l’information – on attribue cette déclaration à Einstein, ce qui fait qu’on l’accueille avec indulgence. Ensuite, l’extinction des pollinisateurs naturels aurait des effets spectaculaires. Enfin, le prédicateur marocain commet une erreur de raisonnement courante : il établit des corrélations, puis les présente comme des causalités. Comme une vague de disparition des abeilles semble s’être produite en Égypte après une normalisation des relations avec Israël, et que c’est le cas aujourd’hui au Maroc, il explique la première par la seconde. Mais il ne propose aucun modèle aussi sophistiqué que celui de Dan. Pour lui il s’agit plutôt d’une punition divine !

 

Récemment, les éditions du Seuil ont publié un livre anonyme, le Manifeste conspirationniste, dont la thèse est que le « système » néolibéral a pris peur fin 2019 à cause d’une série de soulèvements – émeutes à Hongkong et à Santiago du Chili, « gilets jaunes » en France – et que la pandémie a été utilisée pour confiner et contrôler les populations… Bref, pour mener une « contre-révolution ». Qu’en pensez-vous ?

D. S. : C’est un texte assez brillant, genre dandy d’extrême gauche, qui me fait penser aux situationnistes et à d’autres camarades des années 1960. Les idées avancées sont extrêmes mais elles ne sont pas délirantes. Pour un texte qui se veut un manifeste, il est presque sans prise sur les problèmes du monde, même sur ceux qu’il évoque : on entend bien la mélodie, moins bien les paroles.

 

G. B. : Je n’ai pas de sympathie ni de cousinage intellectuel avec cette façon d’écrire. Je suis étonné qu’une maison comme le Seuil publie ce texte sans nom d’auteur. Ce qui m’inquiète, c’est qu’une petite musique s’installe dans l’espace public, qui laisse entendre que le conspirationnisme serait une lecture politique du monde défendable et que vouloir combattre le conspirationnisme témoignerait d’une forme de mépris de classe. À mon sens, le véritable mépris est de penser que les récits mythiques ou irrationnels sont réservés aux classes populaires. Sans avoir lu la totalité du Manifeste, les passages que j’ai parcourus se rapprochent par moments d’une tournure de raisonnement qu’on appelle le quid protest, selon laquelle « le criminel est celui à qui profite le crime ». Si les laboratoires pharmaceutiques se sont enrichis grâce aux vaccins anti-Covid et si les États en ont profité pour faire du contrôle des populations, ce serait la preuve que ce sont eux les responsables de la pandémie.

 

D. S. : Les auteurs ne soutiennent pas que l’épidémie a été fabriquée à dessein. Ils suggèrent que les puissants de ce monde y ont vu une aubaine pour renforcer le contrôle des populations avec leur consentement.

 

À votre avis, l’intelligence rend-elle réfractaire à l’autorité ?

G. B. : En tant que chercheur, je ne sais pas ce qu’est l’intelligence, et j’ai besoin d’une variable qui me permettrait de l’approcher. Il y a le QI, mais je ne connais pas de travaux de sociologie permettant de vous répondre. Si j’essaie d’isoler une variable sur laquelle il y a des publications, je citerai – au risque de choquer – le niveau d’études. Il ne dit pas grand-chose sur l’intelligence ou la rationalité, mais c’est une approximation acceptable, et, surtout, nous avons des données. Pour le conspirationnisme, nous savons que plus on a un niveau d’études important, moins on est susceptible d’y adhérer. Cependant, il y a des contre-exemples. Dans les années 1980, les sociologues Daniel Boy et Guy Michelat ont montré une corrélation positive entre niveau d’études et endossement de croyances comme l’astrologie, les pouvoirs paranormaux ou la psychokinèse. Plus près de nous, les données livrées par les 3 800 fiches des combattants étrangers de Daech révèlent qu’ils ont un niveau d’études supérieur à la moyenne de la population de leurs pays d’origine. À mon avis, il y a ici une variable cachée, et ce qui mène à la révolte est le décalage entre un niveau d’études élevé et un capital symbolique faible. C’est ce qu’on appelle la frustration relative : mon niveau d’études me donne l’impression d’avoir certains droits que le contexte social me refuse. Par exemple, si je viens de l’immigration, que j’ai des diplômes, mais que je ne suis pas reconnu pour ma compétence, je suis susceptible de basculer dans la radicalisation. Dans le cas des combattants étrangers de Daech, si leur niveau d’études était élevé, il y avait parmi eux un taux de chômage également plus élevé que la moyenne. Le croisement de ces deux variables accrédite l’explication par la frustration.

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Article issu du dossier "Penser, c’est dire non ?" juin 2022 Voir le dossier
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