Daniel Zagury : la fascination du vide
Notre regard sur les criminels a varié au fil de l’histoire, et avec lui la hiérarchie du mal. Aujourd’hui, le mal absolu emprunte, au gré de l’actualité, les traits du tueur en série, du pédophile et du terroriste. Expert criminologue, le psychiatre Daniel Zagury note qu’un même vide de la pensée unit la plupart de ces « barbares ordinaires », par-delà leur grande diversité. C’est dans ce vide, dit-il après Arendt, que surgit le mal. Et c’est ce vide qui fascine le public et nourrit ses fantasmes.
Aujourd’hui, quand on pense au mal absolu, les figures qui surgissent sont celles du pédophile, du tortionnaire ou du serial killer ; est-ce un reflet de notre temps ?
Daniel Zagury – Les figures du mal le plus extrême, pour ne pas dire absolu, ont évolué au cours de l’histoire. Dans l’Antiquité, et pendant une longue période, le pire des crimes était le parricide. Et le pire du pire était le régicide, extension du parricide puisque tuer le roi, c’est tuer le père du pays. D’ailleurs, il fallait qu’à l’atrocité de cet acte réponde l’atrocité de la mise à mort, comme en témoigne le supplice de Robert François Damiens que commente Michel Foucault dans Surveiller et Punir. Mais de nos jours ? Le parricide a perdu une grande partie de son pouvoir horrifiant et il est généralement considéré comme un passage à l’acte criminel résultant d’une maladie mentale. Aujourd’hui, c’est plutôt le crime commis à l’égard d’un enfant qui est au sommet de la hiérarchie de l’atroce, parce qu’il représente le massacre de l’innocent. Mais il n’en a pas toujours été ainsi ! Quand j’étais gosse, les affaires de « ballets roses » faisaient doucement sourire. Et je ne vous parle pas de la période post-68 qui a vu des intellectuels se lever pour défendre le droit à la pédophilie au nom de la liberté de l’enfant. Les mentalités ont évidemment changé depuis.
Il y a donc des moments de bascule ?
Oui, bien sûr. Dans les années 1960, il y a eu ainsi une prise de conscience de l’horreur du viol. Quelques années auparavant, on pouvait lire dans un traité de médecine légale qu’un viol n’était pas avéré s’il n’y avait pas fracture du bassin ! Vingt ans plus tard, il y a eu un autre moment après la diffusion télévisée des Dossiers de l’écran du 2 septembre 1986 sur l’inceste. Les plaintes ont explosé dans les jours et les semaines qui ont suivi ! Et puis il y a bien sûr les affaires de pédophilie : au début de l’année 1996, six mois avant le début de l’affaire Dutroux, j’ai été nommé expert dans une affaire concernant un homme qui allait chercher des enfants à la maternelle, et abusait d’eux avant de les reconduire à l’école. Sur le moment, l’histoire n’a pas beaucoup intéressé la presse, mais six mois plus tard, l’affaire aurait occupé la moitié des JT ! Je pense qu’on peut considérer qu’avec l’affaire Dutroux, on a assisté au basculement qui a vu le pédophile devenir la figure du mal. Mais je pourrais aussi évoquer d’autres moments plus récents, par exemple lorsqu’on a réalisé que les femmes aussi étaient parfois impliquées, directement ou indirectement, dans des affaires de délinquance sexuelle et de pédophilie. Jusque-là, c’était impensable. Et puis il y a bien sûr l’affaire Weinstein qui a braqué les projecteurs sur le problème des violences sexuelles faites aux femmes. Il y a quelque chose de vertigineux dans ces basculements lorsque le nouveau paradigme devient si évident qu’on ne parvient plus à comprendre comment on envisageait le phénomène auparavant. On ne parvient plus à s’imaginer un monde où le viol, l’inceste, la pédophilie, etc., ne constituaient pas un scandale. Le logiciel social change, irrémédiablement.
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