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Photo du « faux bidonville » © Emoya Estate

De faux bidonvilles pour touristes de luxe

Martin Legros publié le 29 novembre 2013 4 min
Résonance // Chaque vendredi à 19h15 sur France Info, un membre de la rédaction de Philosophie magazine décrypte un fait d’actualité dans le journal de Bernard Thomasson. Ce soir Martin Legros intervient à propos de la construction de faux bidonvilles pour touristes de luxe, en Afrique du Sud.

Une polémique en Afrique du Sud suite à la construction de faux bidonvilles pour touristes de luxe

La nouvelle formule de séjour proposée par l’Hôtel Emoya de Bloemfontein, au centre de l’Afrique du Sud, fait polémique depuis quelques semaines. Ce complexe hôtelier, située dans une réserve naturelle de 270 hectares, ne propose plus seulement à ses riches clients d’aller à la rencontre des lions et des chimpanzés ou de se détendre dans un environnement naturel totalement préservé tout en profitant d’un spa ou d’un bain de boue.

« Recréer les joies de la vie de taudis sans les nuisance du crime, de la maladie et de l’insalubrité »

Non, c’est une expérience qui vous est dorénavant proposée : celle de vivre la vie misérable d’un habitant de bidonville comme il en existe des millions en Afrique du Sud. Dans un espace dédié du domaine, un « faux » bidonville a donc été construit, composé d’une douzaine de cabanes en bois et en tole ondulée comprenant quelques lits rudimentaires. Pour s’immerger pleinement dans ce mode de vie très « exotique », les 52 clients disposent pour 60 euros la nuit d’une lampe à pétrole, de tambours en métal où ils peuvent faire chauffer l’eau et cuire leur alimentation et de toilettes extérieures. Mais aussi de l’eau courante, de chauffage au sol et d’une connexion wifi.

Il s’agit, soutient l’hôtelier, de « recréer les joies de la vie de taudis sans les nuisance du crime, de la maladie et de l’insalubrité ». Une formule de groupe est même proposée : l’expérience du Shanty town, « village taudis » - étant présentée comme « idéale pour assurer la cohésion d’une équipe ». Rien de tel pour booster les liens entre les cadres d’une entreprise  que de les immerger dans l’épreuve partagée de la misère.

 

Les critiques ont fusé

Toutes dénoncent l’indécence d’une telle proposition, le fait de « payer pour vivre dans une version simulée ce que d’autres gens sont forcés, faute d’argent, de vivre tous les jours ». Le propriétaire de l’hôtel s’est défendu en affirmant qu’il s’agissait de créer de l’empathie pour ceux qui vivent dans des bidonvilles, de se mettre vraiment à leur place.

Dans un pays comme l’Afrique du Sud qui compte plusieurs millions d’habitants des bidonvilles, où le salaire moyen d’un travailleur est celui d’une nuit au Shanty town, la formule avait pourtant de quoi choquer. Et pourtant… elle n’est pas isolée. D’autres propositions de ce type ont essaimé ces dernières années, partout dans le monde.

« Le tourisme propose aujourd’hui de se mettre dans la peau de l’humanité déchue »

Au Mexique, par exemple, vous pouvez faire l’expérience simulée d’un migrant clandestin qui tente de passer la frontière des Etats-Unis en pleine nuit et est poursuivi par la police des frontières américains. Vos poursuivants sont des acteurs, vous êtes dans un champ mexicain et non pas à la frontière, mais tout est tellement bien simulé que vous aurez l’impression, pendant quelques heures, d’être dans la peau d’un clandestin. En Russie, vous pourrez également faire l’expérience d’un déporté au Goulag. C’est ce qu’on appelle le tourisme d’expérience ou d’immersion. Dans le même esprit que les « reality show » à la télévision qui vous proposent de vivre la vie d’une ménagère ou d’un chômeur, le tourisme propose aujourd’hui de se mettre dans la peau de l’humanité déchue. La traversée d’une épreuve pour intensifier l’existence.

 

Une épreuve totalement fausse…

C’est tout le problème. Il y a quelques années, le philosophe Umberto Eco s’inquiétait de la manière dont les américains transformaientt leurs musées en parc d’attraction. Il voyait là le surgissement d’une nouvelle réalité, « l’hyperréalité du faux absolu ».  Lorsque nous nous trouvons devant la copie conforme du salon ovale de la Maison Blanche ou du Trocadéro de Paris, nous sommes devant une réalité étrange qui est à la fois complètement fausse, mais qui prétend simultanément être plus vraie et plus parfaite que la chose naturelle. L’hyperréalité, c’est un artefact, un double de la chose et c’est en même temps une réalité augmentée. « Le tout vrai, dit Eco, (la copie parfaite) s’identifie au tout faux (le carton pâte)».  

« Nous voulons vivre plusieurs vies en une, élargir le spectre des possibles »

Avec le tourisme d’expérience, nous avons basculé dans un nouvel âge du faux qui n’est plus seulement contemplé, mais expérimenté, vécu de l’intérieur. Comme si nous passions à l’intérieur du simulacre pour devenir un des personnages du tableau. Cela au service d'un désir qui est au cœur du monde contemporain, qui constitue la grande tendance de notre temps : le désir  d'intensifier et de démultiplier nos expériences. Nous ne croyons plus qu’il y a une vie après la mort. Du coup, nous voulons vivre plusieurs vies en une, élargir le spectre des possibles. Pour répondre à cette aspiration, nous avons besoin d’avatar qui nous permettre de démultiplier nos vies, de vivre d’autres aventures et d’autres épreuves.

Alors évidemment, en faisant semblant d’être un sans-abri ou d’habiter un bidonville, nous ne risquons pas grand chose, en réalité.  Nous ne nous lestons pas de vraies expériences. Au contraire, nous transformons des drames réels en divertissement. Le seul risque que nous courrons, c’est par un effet en retour sur nous-mêmes de transformer notre propre existence en un spectacle, en un divertissement : à force de singer la vie des autres,  nous perdons le contact avec la nôtre. Au-delà des problèmes éthiques qu’il pose, là est le vrai danger du tourisme d’immersion : faire de nous les touristes de notre propre vie.

 

Pour aller plus loin

Umberto Eco : La guerre du faux (Grasset).

Et le dossier de Philosophie magazine : « Peux-t-on vivre plusieurs vies en une ? »

L'enquête sur le tourisme réel: « Dans la peau d'un clandestin »

 

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