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©Okeykat/Unsplash

Tribune

Maurizio Ferraris : “La planète n’a pas besoin de nous !”

Maurizio Ferraris publié le 30 septembre 2020 6 min

Dans un texte enlevé, le philosophe italien Maurizio Ferraris, compagnon de Jacques Derrida et d’Umberto Eco, dénonce l’idée qu’il nous reviendrait de « sauver la planète ». Cette idée d’origine religieuse, qui ferait de nous les maîtres du monde, induit une représentation erronée de la technique, et nous égare sur le sens de notre responsabilité dans la crise écologique. Décoiffant ! 

 

On soutient souvent que ce que nous sommes appelés à faire avec la défense de l’environnement, c’est de garantir la sauvegarde de la planète. Mais on pourrait objecter que la planète n’a pas besoin de notre intervention, puisque le sort de la Terre est déjà scellé, et qu’il coïnciderait tout d’abord avec un choc solaire puis, à plus long terme encore, avec la mort thermique de l’Univers. Il ne s’agit pas même de préserver des formes de vie sur la planète, puisqu’il y a des milliards d’êtres vivants non humains prêts à prendre notre place, tout comme nous avons pris la place des formes de vie précédentes. Il s’agit tout au plus de chercher à préserver l’environnement qui rend possible la forme de vie humaine. Bref, admettons-le avec humilité. En disant : « Nous devons sauver la planète », nous proclamons une noble fanfaronnade.

 

“La dévastation de l’environnement est une caractéristique de l’humain, non de l’Anthropocène”
Maurizio Ferraris

 

Quant à l’Anthropocène

Elle apparaît avant tout comme un autre visage, face de carême et de contrition, de l’orgueil de l’humain comme colonisateur et conquérant du monde, maître de l’Univers, cet être auquel Dieu aurait donné pour tâche de compléter son œuvre, et qui aurait atteint son point culminant avec la technologie moderne. Mais l’histoire, ici aussi, est maître de la vie. La dévastation de l’environnement est une caractéristique de l’humain, non de l’Anthropocène : l’Europe était couverte de forêts, et, à partir du Néolithique, les hommes se sont employés à la déboiser. Et il est difficile d’imaginer une catastrophe environnementale pire que celle qui se produite sur l’île de Pâques : pour transporter les Moaï, on a abattu tous les arbres, au point de ne même plus pouvoir abandonner (faute d’embarcations) une île que l’on avait rendue pratiquement inhabitable. Positivement, pensons au contraire à toutes les normes qui existent aujourd’hui pour la protection de l’environnement et de la santé, et qui n’existaient pas auparavant. Il y a un demi-siècle, Londres était pleine de smog, et la Tamise était extrêmement polluée. Plus maintenant. Il y a un demi-siècle, fumer était un signe de virilité et d’intellectualité, et les immeubles étaient pleins d’amiante (et même après que l’on eut découvert que cela était nocif, cela a continué pendant un moment). Aujourd’hui, seul fume celui qui ne parvient pas à arrêter, et tout le monde est découragé de le faire ; les immeubles sont désamiantés. Bien entendu, nous faisons cela pour nous, et certainement pas pour cette planète, indifférente et puissante, qui (pour céder à l’anthropomorphisme) nous regarde d’un œil compatissant.

 

“Nous n’avons reçu aucune mission à l’égard de la planète, mais nous avons expérimenté d’emblée les difficultés qu’il y a à survivre”
Maurizio Ferraris

 

Quant au fait de sauver la planète

Dieu ne nous a pas plus donné pour tâche de sauver la planète qu’il n’a donné à Adam le mandat de nommer un nom aux animaux. Nous n’avons reçu aucune mission à l’égard de la planète, mais nous avons expérimenté d’emblée les difficultés qu’il y a à survivre, à se nourrir, à s’abriter, à lutter contre des animaux bien plus forts que nous. C’est justement en vue de cela que l’homme s’est doté de la technique, qui (nous ne saurions l’exclure) engendrera un changement environnemental tel qu’il pourrait rendre impossible la survie de notre espèce. Mais n’oublions pas que sans technique, l’humain aurait suivi le destin de sa vie naturelle, brève, solitaire et misérable, et qu’il est fort possible que notre espèce (à supposer que quelque chose de ce type puisse être déterminé, puisque nous ne descendons pas d’un singe, mais de de plusieurs) se serait éteinte il y a des centaines de milliers d’années. Avec pour résultat que nous ne serions pas là, et que personne n’aurait jamais prononcé le nom d’« humain ».

 

“Il y a énormément d’espèces prêtes à prendre notre place, s’il devait arriver que l’environnement ne permette plus la vie humaine, tout comme nous avons pris la place des dinosaures”
Maurizio Ferraris

 

Quant au fait de sauver les autres êtres vivants

Si humiliant que cela puisse paraître au vu de la haute conception que nous avons de nous-mêmes et de nos pouvoirs de bien ou de mal, du point de vue de la nature (de ce qui pour nous, et pour nous seulement, est « nature »), il s’agit là d’un très grand moment – le virus ne s’est jamais aussi bien porté. Le trou dans la couche d’ozone et tout ce dont nous sommes responsables, tout cela ne le décoiffe pas d’un cheveu, à supposer que les virus aient des cheveux. Et il y a énormément d’espèces prêtes à prendre notre place, s’il devait arriver que l’environnement ne permette plus la vie humaine, tout comme nous avons pris la place des dinosaures, détruits non pas par leurs industries (vu leur niveau de force et d’équipement, ils n’avaient pas besoin de technique) mais par un changement climatique imputable, en toute hypothèse, au choc d’une météorite plus puissante que toutes les bombes atomiques dont nos arsenaux militaires sont remplis.

 

“L’artificiel serait ce qui est fait par l’humain, et le naturel tout le reste. Quel prétentieux discours !”
Maurizio Ferraris

 

Quant au fait de sauver « la nature »

Ici aussi, il y a un étrange orgueil dans cette tâche que nous nous sommes donnée, et qui se fonde entièrement sur la différence entre naturel et artificiel. Où l’artificiel serait ce qui est fait par l’humain, et le naturel tout le reste. Quel prétentieux discours ! D’une part, on ne voit pas pourquoi un nid de termites ou la digue construite par les castors seraient « naturels », tandis que les mêmes artefacts, produits par des mains humaines, seraient « artificiels ». D’autre part, si nous y réfléchissons un moment, ce qui, de façon oblique, se joue dans l’alternative entre naturel et artificiel est tout autre : c’est l’alternative entre naturel et surnaturel. Ce que fait l’humain est l’autre absolu par rapport à la nature, la main humaine est en réalité la mano de Dios, appelée à faire des miracles en renversant l’ordre de la nature. Mais n’oublions pas que même l’île de plastique du Pacifique est naturelle, ses composantes élémentaires sont les restes des dinosaures dont nous avons volé la place, et notre intervention concernant la genèse de l’île est infiniment inférieure à celle d’un jardinier des îles Borromée ou du constructeur d’un polder en Zélande. 

 

“Nous devons donc tout faire pour que notre espèce ne disparaisse pas […], non pas parce que nous serions les agents d’un commandant suprême, mais parce que nous sommes une espèce faible”
Maurizio Ferraris

 

A-t-on là autant de motifs pour affirmer que le réchauffement climatique est une intox ? Bien sûr que non. Et il est fort probable que, quand bien même nous n’en serions pas la cause première (comme on le sait, il y a des cycles de réchauffement et de refroidissement), nous avons donné un coup de main considérable au processus et que nous en paierons très chèrement les conséquences, surtout les plus pauvres d’entre nous. Nous devons donc faire tout notre possible pour que notre espèce ne disparaisse pas, pour éviter des hécatombes et des catastrophes, mais cela, non pas parce que nous serions les agents d’un commandant suprême qui nous aurait confié le monde, mais bien parce que nous sommes une espèce faible, qui a crû et s’est multipliée par le biais de la technique, et qui pourrait tout autant mourir de la technique qu’elle ne pourrait s’en sauver. Le tout, sous le regard souverainement indifférent de la planète, de la nature et des autres êtres vivants

Traduit par Sabine Plaud
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