Donald Trump, inventeur de l’Idiotrealpolitik

Classiquement, on oppose deux approches philosophiques en relations internationales. Les idéalistes (à la suite de Kant) soutiennent qu’il faut envisager les rapports entre nations comme si une paix universelle était possible ; il convient donc pour eux de se référer à une certaine norme du bien avant d’agir. Les réalistes (à la suite de Machiavel) voient, eux, la scène internationale comme fondamentalement conflictuelle, si bien que chaque prince, chaque dirigeant peut trahir ou envahir les autres au nom de sa raison d’État. Cette poursuite des intérêts nationaux au mépris des principes éthiques abstraits, c’est la Realpolitik.

Seulement voilà, Donald Trump est en train, par sa geste effarante, de nous amener à forger une nouvelle catégorie, qu’on pourrait appeler l’Idiotrealpolitik. Dans la Realpolitik traditionnelle, chaque acteur poursuit un but égoïste ; le réel n’est donc pas considéré comme incohérent ni chaotique, mais au contraire étroitement rationnel, puisqu’il est la somme des intérêts divergents des protagonistes. Mais regardons un instant comment procède Trump : il va droit à l’affrontement, engage sa parole sans qu’elle soit suivie d’effet, se contredit, feint ou montre une abyssale ignorance ! Après avoir promis à la Corée du Nord un « déluge de feu et de fureur » en pleine crise des missiles de l’été 2017 et avoir multiplié les sanctions contre le régime de Pyongyang, il a fait bouger toutes les lignes, et voilà que les deux Corée se rapprochent. Si la dénucléarisation du site de Pyunggye-ri fin mai a lieu – rien n’est moins sûr à l’heure où nous écrivons –, Trump pourrait se rêver en artisan de la signature d’un traité de paix entre les Corée, événement attendu… depuis 1953. À moins qu’il ne se fasse bluffer par Kim Jong-un. N’importe, le président américain a choisi d’appliquer la même méthode avec l’Iran : en se retirant le 8 mai dernier de l’accord sur le nucléaire iranien et en relevant au plus haut niveau les sanctions commerciales contre ce pays, les États-Unis jouent à pile ou face. Pile : le régime de Téhéran, encore secoué par des émeutes cet hiver, affaibli par une crise économique endémique que les sanctions américaines vont aggraver, tombera, au profit de la jeunesse éduquée et plutôt pro-occidentale du pays. « Cela fait près de quarante ans que cette dictature a pris le pouvoir et une fière nation en otage, mais le futur appartient au peuple de l’Iran », a annoncé Trump pour justifier sa décision. Mais il y a le côté face, l’autre éventualité : si l’accord ne vaut plus rien, l’Iran n’aura plus aucune raison de suspendre son programme nucléaire, le régime pourrait donc se durcir face à l’hostilité internationale et s’armer de la bombe atomique. Et cela après que le déplacement de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem a embrasé la bande de Gaza et envenimé toute la zone. No risk, no fun…