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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Napoléon Bonaparte (Joaquin Phoenix) et Joséphine de Beauharnais (Vanessa Kirby), dans le film “Napoléon” (Ridley Scott, 2023). © 2023 Apple

Elle a eu sa peau, Léon

Michel Eltchaninoff publié le 04 décembre 2023 4 min

« J’ai attendu le 2 décembre – jour anniversaire du couronnement de Bonaparte et de la bataille d’Austerlitz – pour aller voir Napoléon, de Ridley Scott au cinéma. Non que je sois un grand admirateur du personnage, mais sa légende (littéraire, en ce qui me concerne) méritait bien un petit effort de symbolique. Contrairement à toutes les personnes de ma connaissance qui l’ont vu, et à la plupart des critiques, j’ai trouvé le film vraiment impérial.

“Ridicule”, ce Napoléon, juge le média d’histoire Hérodote.net. On trouve aussi sur les réseaux sociaux la liste des erreurs historiques du film. Non, Bonaparte n’a pas fait tirer sur les pyramides d’Égypte. Non, Borodino n’est pas à 300 kilomètres de Moscou. Non, l’épisode central de la bataille d’Austerlitz n’est pas la chute des armées ennemies à travers un lac gelé. Non, Napoléon n’a pas chargé à Waterloo… Voilà pour les férus d’histoire. Les amoureux du grand écran ne sont pas en reste : “C’est la Bérézina”, tranchent les critiques de cinéma de Télérama, qui n’y voient qu’une succession d’images d’Épinal sans souffle ni vision.

Mais qu’en disent les philosophes ? Hegel, s’il était venu voir le film avec moi, aurait été furieux. Napoléon, qu’il avait aperçu à Iéna et immédiatement reconnu comme l’“âme du monde”, est pour lui le prototype moderne des grands hommes qui “ont eu le bonheur d’être des agents d’un but qui constitue une étape dans la marche progressive de l’Esprit universel” (La Raison dans l’histoire). Bonaparte propage les idéaux de la Révolution française, réalise par ses conquêtes la progression de l’idée d’État : “Il fut celui qui sut dominer, écrit-il dans l’un de ses cours sur la philosophie de l’histoire. Il eut bientôt fini à l’intérieur, en centralisant l’administration. Il s’est ensuite tourné vers l’extérieur, avec l’énorme puissance de son caractère ; et il soumit presque toute l’Europe, propageant partout ses institutions libérales.” Grâce à lui, les peuples soumis ont pris conscience de leur individualité, ce qui leur a donné envie de créer à leur tour des États viables.

Hegel n’aurait pas été choqué de voir évoquées les passions brutales de l’empereur : son ambition égoïste, son orgueil démesuré, ses amours. Car c’est par leur truchement qu’il est devenu l’instrument de la rationalité historique. “C’est dialectique, Michel : la passion individuelle agit au bénéfice de ce qui doit se faire”, m’aurait-il glissé à l’oreille pendant la projection. “Je sais, Georg, une ruse de la raison…” Mais j’aurais senti la colère de mon voisin monter. Car Napoléon, pour le réalisateur Ridley Scott, n’a qu’une seule véritable passion, et elle n’a rien de dialectique. Il est fou amoureux de Joséphine de Beauharnais, qu’il épouse avant de se résoudre à la répudier parce qu’elle ne peut lui offrir d’héritier. Ses faits d’armes n’ont rien de la réalisation d’un plan de l’histoire. Ils ne sont que des reflets de sa passion amoureuse. Lorsqu’il se sait trahi par Joséphine, il quitte soudainement l’Égypte et revient lui faire des scènes. Quand il est aimé, il a la force de triompher à Austerlitz. Lorsqu’il quitte son épouse, il ne voit même plus l’intérêt d’occuper la Russie. Quand elle meurt, il sent qu’il ne gagnera plus jamais, et c’est Waterloo… La passion n’est pas, pour le cinéaste britannique, le secret moteur du progrès ; elle prend toute la place. Au fond, Napo’ aurait dû rester avec sa Joséphine, il aurait été très heureux. Il n’aurait pas été un génial stratège et ni l’empereur de l’Europe, mais simplement un mari satisfait. Hegel est abasourdi face à tant de platitude.

C’est pourtant ce qui fait l’originalité et la beauté de ce Napoléon. Dans ce film behaviouriste où l’on ne sait rien de la psychologie des héros – ni des raisons de l’amour de Joséphine pour ce rustre, ni de celles de son mari, qui a l’air de dormir la plupart du temps, quand il ne pleurniche pas –, la marche de l’histoire n’a aucun intérêt par rapport aux sentiments privés. C’est pour cette raison que les batailles sont belles, mais froides, que la politique suit ses règles sans enthousiasmer personne. Napoléon a tout raté : son bonheur intime comme sa carrière d’empereur. Il aurait dû rester avec cette mystérieuse Joséphine que l’on ne perçoit qu’à travers ses yeux d’amoureux. Hegel quitte la salle en maugréant. Mais je vois, au premier rang, un autre spectateur, ravi : c’est Kierkegaard, grand adversaire de la dialectique hegelienne, et persuadé que seuls les sentiments individuels nous élèvent, du point de vue éthique, esthétique et même religieux. Je laisse Georg Wilhelm Friedrich à sa rancœur et vais prendre un verre avec Søren. Il a raison, au fond : pourquoi sacrifier une belle passion amoureuse pour une gloire inatteignable ? »

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