Hors-série "Les Lumières"

Esprit des Lumières, où es-tu ?

Martin Duru publié le 3 min

Plusieurs philosophes, depuis la Renaissance, ont ouvert la voie aux penseurs des Lumières. On peut esquisser leur contribution à partir de quelques mots-clés synthétisant les idées-forces autour desquelles s’élaborera la pensée des Lumières. Hommage aux précurseurs.

La Renaissance

  • Homme

Pic de la Mirandole (1463-1494 ; italien)

L’homme est un être à la nature indéterminée et plastique, un « caméléon ». Pour le génie de la Renaissance, Dieu a créé l’homme comme une « œuvre sans traits distincts ». À la différence des plantes ou des animaux, il n’a pas de destin fixé d’avance ; il peut s’inventer, se perfectionner grâce à sa raison et son intelligence. •

« Tel un statuaire qui reçoit la charge et l’honneur de sculpter ta propre personne, tu te donnes, toi-même, la forme que tu auras préférée » De la dignité de l’homme (1486).

  • Éducation

Érasme (1469-1536 ; hollandais)

Comment accéder à la pleine humanité, c’est-à-dire à la liberté ? Par l’éducation, répond Érasme. Érudit et lui-même précepteur, il est l’inventeur d’une pédagogie nouvelle et visionnaire, qui passe par l’apprentissage du grec et du latin, de ces « lettres qui vous rendent plus humains », et se montre soucieuse de la spécificité des enfants.

« L’homme ne naît pas homme, il le devient » De l’éducation des enfants (1529).

  • Doute

Montaigne (1533-1592 ; français)

Sa devise dit tout : « Que sais-je ? » Montaigne remet en question toute prétention à détenir la vérité, cette vanité humaine, trop humaine. Son scepticisme est un acide critique qui dissout le dogmatisme en religion, en science, en philosophie ; c’est aussi une invitation à entendre la pluralité des opinions, lesquelles sont toujours matière à « défiance » et « débat »

« Il n’y a que les fols certains et résolus » Essais (1580-1588).

L'Âge classique

  • Progrès

Descartes (1596-1650 ; français)

Comme son contemporain Galilée, il soutient que le monde est écrit en langage mathématique. La nature se confond avec la matière, où tout obéit à des relations mécaniques de cause à effet. Cette rationalisation intégrale ouvre un horizon prométhéen : la connaissance scientifique doit permettre l’essor de techniques et de procédés « utiles à la vie »

« … et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » Discours de la méthode (1637).

  • Contrat

Hobbes (1588-1679 ; anglais)

Révolution en politique : l’État n’a plus de fondement transcendant, c’est une construction humaine, volontaire. Hobbes théorise l’état de nature comme « une guerre de tous contre tous », où la peur est perpétuelle. Pour en sortir, les hommes décident par « convention » mutuelle de confier l’autorité au « Léviathan », garant de la paix de la sécurité. 

« J’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit à me gouverner moi-même »Léviathan (1651).

  • Nature

Spinoza (1632-1677 ; hollandais)

« Dieu, c’est-à-dire la Nature » : même s’il se défend d’être athée, Spinoza sape la croyance en un Dieu créateur, révélé et extérieur au monde. Identifié à la Nature, Dieu est la totalité dans laquelle nous vivons. Il faut démonter les rouages des préjugés, de la superstition : Dieu n’est pas personnel, il ne récompense ni ne punit ; il n’existe aucun plan, aucun finalisme à l’œuvre dans les phénomènes naturels. 

« La volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance » Éthique (1677).

  • Tolérance

Locke (1632-1704 ; anglais)

La séparation des Églises et de l’État : son credo. En libéral, Locke cantonne le gouvernement à la protection des droits et intérêts des citoyens (la liberté, la santé, la propriété…) Il n’a pas à s’occuper du « soin des âmes ». Si elles ne menacent pas le bien public, les associations religieuses doivent être respectées et autonomes. 

« Que le magistrat prenne bien garde à ne pas abuser de son pouvoir et à ne point opprimer la liberté d’aucune Église » Lettre sur la tolérance (1686).

  • Universel

Leibniz (1646-1716 ; allemand)

Esprit encyclopédique (métaphysicien, mathématicien, juriste, philologue, géologue…), il bâtit un système qui saisit l’intégralité du réel. Dans l’Univers, tout a une raison d’être ainsi et pas autrement ; tout est composé d’éléments premiers, les « monades ». Grâce à une telle unité dans la diversité, le monde est un concert harmonieux. 

« En vertu du parfait ordre établi dans l’Univers, tout est fait le mieux qu’il est possible » Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1714).

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