Étienne Decroly : “Est-il raisonnable de construire en laboratoire des virus potentiellement pandémiques chez l’homme qui n’existent pas dans la nature ?”
Pour le virologue spécialiste du VIH, directeur de recherche au CNRS et membre de la Société française de virologie Étienne Decroly, la question de l’origine du Covid-19 n’est pas résolue. Et la thèse de la transmission par les chauves-souris (ou par un hôte intermédiaire, tel que le désormais tristement fameux pangolin) souffre de plusieurs incohérences. Le virus se serait-il bel et bien échappé d’un laboratoire de Wuhan ? Entretien sur un mystère toujours non résolu.
L’Organisation mondiale de la santé a rendu son rapport sur l’origine de la pandémie. Qu’en pensez-vous ? Que dit ce rapport – et que ne dit-il pas ?
Étienne Decroly : C’est une bonne nouvelle qu’un premier rapport soit enfin disponible. En un an de pandémie, l’OMS a pu envoyer une équipe en Chine pour essayer de comprendre ce qui s’est passé et découvrir les origines du virus. 17 experts mandatés par l’OMS ont rejoint 17 experts chinois pour analyser les résultats de l’enquête chinoise. La commission conclut que le mystère reste entier... et suggère que l’origine zoonotique – c’est-à-dire liée à la transmission d’un virus existant dans des espèces animales à l’espèce humaine – est la plus probable. Le virus se serait transmis à l’espèce humaine soit à partir des chauves-souris, qui sont un réservoir important de ces virus, soit en passant par une espèce intermédiaire (chat, lapin, vison, pangolin, civette, etc.). Toutefois, il faut noter que l’échantillonnage massif réalisé par les autorités chinoises n’a pas permis de confirmer cette présomption, ce qui a conduit le directeur de l’OMS à rappeler que toutes les hypothèses restaient sur la table – incluant celle d’un accident de laboratoire – et à proposer de constituer une nouvelle commission dont le pouvoir d’enquête serait élargi. Le processus d’enquête doit donc se poursuivre.
“Le directeur de l’OMS rappelle que toutes les hypothèses restent sur la table, incluant celle d’un accident de laboratoire. […] L’enquête doit donc se poursuivre”
Concernant l’espèce primordiale, on a immédiatement pensé aux chauves-souris ?
L’analyse des émergences précédentes de coronavirus a permis d’identifier les chauves-souris comme un réservoir jouant un rôle clé dans l’origine zoonotique des coronavirus. Dans la nature, des populations importantes de chauves-souris (dont il existe plus de 1 400 espèces) partagent les mêmes grottes, et différentes souches de coronavirus peuvent alors infecter simultanément le même animal, ce qui favorise les recombinaisons génétiques entre virus et décuple les possibilités d’évolution. Certaines souches ainsi générées sont parfois aptes à franchir la barrière des espèces et infectent d’autres espèces animales davantage au contact des population humaines. La transmission ultérieure aux humains est facilitée car ces « hôtes intermédiaires » sont d’une part génétiquement plus proche de l’homme, et d’autre part souvent des animaux d’élevage en contact direct avec les humains. Les virologistes sont capables de comprendre les mécanismes de transmission zoonotique par des analyses « phylogéniques » permettant de reconstruire l’arbre généalogique des virus. En comparant les séquences génomiques d’échantillons viraux de malades infectés par le Sars-CoV-2 [la dénomination officielle du Covid-19] au début de l’épidémie, on a observé un taux d’identité de 99,98 % entre les différents échantillons, ce qui signifiait que le virus avait récemment émergé chez l’humain. On a également constaté que ce génome était à 96 % identique à celui d’un virus de chauve-souris (RaTG13) collecté en 2013 à partir de fèces de l’animal et dont les séquences ne sont connues que depuis le mois de mars 2020. Le virus RaTG13, un cousin du Sars-CoV-2 (mais pas son parent direct) provient d’une mine de la province du Yunnan, où trois mineurs avaient succombé à une pneumonie sévère en 2012. Pour faire bref, le Sars-CoV-2 est génétiquement plus proche de souches virales qui ne se transmettaient jusqu’alors qu’entre chauves-souris. Il ne descend pas de souches humaines connues et n’a acquis que récemment la capacité de sortir de son réservoir animal naturel, donc, en l’occurrence, très probablement de la chauve-souris.
“Les virus n’ont pas de passeports ! La gestion des risques biologiques ne peut plus être envisagée uniquement au niveau national, il faut une stratégie globale et mondiale”
Alors pourquoi est-ce que le rapport n’écarte pas d’autres hypothèses ?
Le rapport évoque en mode mineur la possibilité d’une transmission via de la viande surgelée, infectée on ne sait trop comment, mais qui aurait l’avantage, vu de Chine, d’exonérer l’origine locale. Enfin, il considère l’hypothèse d’un accident de laboratoire comme très improbable. Toutefois, comme mentionné à l’instant, c’est le directeur général de l’OMS lui-même qui a pris le contrepied de la mission OMS-Chine, en déclarant à deux reprises que toutes les hypothèses restaient sur la table, y compris celle d’un virus échappé d’un labo.
Que traduit cette contradiction ?
Elle est le reflet d’une controverse géopolitique, bien sûr, mais également scientifique. Lorsque l’épidémie a émergé, la communauté scientifique a rapidement penché vers l’hypothèse d’une zoonose passant par un intermédiaire animal entre la chauve-souris et l’homme. D’abord, parce qu’aucune épidémie liée à une transmission directe de la chauve-souris à l’homme n’a jamais été démontrée. Ensuite, parce que l’histoire de l’interaction entre l’espèce humaine et les animaux témoigne de nombreux cas de transmissions de virus de certaines espèces animales vers l’espèce humaine en passant par des hôtes intermédiaires – à savoir, des animaux d’élevage ou des animaux sauvages en contact avec les populations. D’où l’hypothèse principale d’une transmission à l’humain via une espèce d’un hôte intermédiaire dans laquelle les virus peuvent évoluer puis être sélectionnés vers des formes susceptibles d’infecter des cellules humaines.
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