J. B. Callicott : “Si nous tentons stupidement de quitter la Terre, nous sommes perdus”

En ce début de XXI^e siècle, les inquiétudes sur l’avenir de notre planète ont parfois conduit à tourner notre regard vers le ciel en espérant y trouver les Amériques du futur... Qu’en pensez-vous ?

John Baird Callicott : Cette attitude témoigne d’une triple ignorance – à propos de ce que nous sommes (des Homo sapiens), de l’endroit où nous sommes (sur la planète Terre), et, enfin, des dimensions spatiales de l’Univers (et de leur incommensurabilité au regard de la durée de vie d’un être humain). L’analogie entre le XV^e siècle européen (la période des grandes découvertes et du voyage de Colomb à bord de la Niña, de la Pinta et de la Santa María) et l’âge de l’exploration de l’espace (d’Apollo I à Apollo XIII, Soyouz et les autres) hante la pensée de ceux qui rêvent de coloniser les planètes. Or tout notre être est impeccablement adapté aux conditions biosphériques – si précises – de la Terre. Et en réalité, nous pouvons vivre uniquement sur – ou dans – la Terre, ou alors sur une planète semblable à la nôtre dans les moindres détails. Sauf erreur de ma part, personne n’a encore découvert de l’autre côté du Soleil l’anti-Terre prédite par les pythagoriciens. Sans doute existe-t-il d’autres planètes dans l’Univers sur lesquelles vivent des organismes évolués. Mais ceux-ci seront adaptés aux particularités de la biosphère locale, exactement comme nous sommes adaptés à la nôtre. Mais où sont ces planètes ? Pas dans notre système solaire. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est quasiment impossible d’envoyer une mission humaine sur nos plus proches voisines : Mars, froide et sans vie, ou Vénus, où règne une chaleur infernale (personne ne voudra aller là-bas). Si l’on tient compte de la relative immensité (à l’échelle humaine) des distances interstellaires rien qu’au sein de notre propre galaxie, on se doute que voyager vers une planète extra-solaire serait une prouesse technique inimaginable. Les deux sondes Voyager, lancées en 1977, viennent tout juste, après plus de trente ans, d’atteindre la bordure de notre système solaire. C’est comme si Christophe Colomb, ayant vogué pendant trente ans, commençait seulement à perdre de vue la côte espagnole, et avait encore devant lui un voyage de cinq cents ans avant de débarquer sur la côte nord-américaine. Comment est-il possible que des personnes intelligentes puissent encore penser que l’exploration interstellaire et la colonisation sont réalisables ?

La terraformation n’est donc pas envisageable ?

C’est un fantasme car, si envoyer un homme sur Mars en un an est envisageable (en revenir est une autre histoire), une terraformation est un exploit technologique inconcevable. Essayez d’imaginer ce que signifie la création d’une atmosphère respirable, puis d’un océan. À quel prix ? En combien de temps ? Et, bien sûr, comment ? Il serait plus facile de diminuer progressivement le nombre d’êtres humains sur Terre tout en infléchissant la tendance de l’homme à la surconsommation. Notre planète a déjà une atmosphère riche en oxygène et un océan source de vie ! Elle est vivante – contrairement à Mars – depuis trois milliards d’années. En outre, nous sommes à son bord. Ce que j’ai baptisé une “Terre Bic” – en référence à ces stylos-billes jetables – n’est qu’une dangereuse illusion née d’une profonde ignorance.