J.-B. Jeangène Vilmer : “Les régimes qui créeront des soldats augmentés ‘sans limites’ créeront aussi des problèmes”
Chine, États-Unis, Russie : nombreux sont les pays engagés dans la course aux « soldats augmentés ». Faut-il leur emboîter le pas – et surtout, quelle limites éthiques faut-il poser pour que la compétitivité militaire ne devienne pas l’alibi de toutes les pratiques les plus contestables qui, de l’édition génétiques aux modifications physiques, remettent en question l’intégrité corporelle des combattants ? Réponses avec le philosophe spécialiste en droit et en science politique Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, membre du Comité d’éthique de la défense.
« Nous disons oui à l’armure d’Iron Man, et non à l’augmentation et la mutation génétique de Spider-Man » : par cette formule, Florence Parly, notre ministre des Armées actuelle, résumait récemment la position de la France sur le « soldat augmenté ». Qu’est-ce qui motive cette ligne de partage ?
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Ce qui motive cette ligne de partage entre des techniques dites « invasives » et d’autres qui ne le sont pas, c’est-à-dire entre des augmentations faites sur le corps (« Iron Man ») et d’autres faites dans le corps (« Spider-Man »), est l’idée que le franchissement de la barrière corporelle est un critère significatif constituant dans la plupart des cas une différence de nature plutôt que de degré. C’est en partie lié à la réversibilité : les techniques invasives sont plus susceptibles d’être irréversibles, ou plus difficilement réversibles. Iron Man peut enlever son armure et la remettre, mais Spider-Man ne peut pas modifier sa nature. De la même manière, on peut « augmenter » la vision du combattant avec des lunettes… ou à travers une opération de la cornée : les conséquences pour lui ne sont évidemment pas les mêmes, et c’est ce que la réflexion éthique doit prendre en compte. Il faut toutefois nuancer cette dichotomie – et c’est pourquoi je dis bien « dans la plupart des cas ».
Pour quelles raisons faut-il nuancer, d’après vous ?
D’un côté, il peut y avoir des techniques invasives moins problématiques. Par exemple, la prise de substances, par voie orale ou par injection, pour mieux tolérer la douleur, le stress ou la fatigue, pour augmenter la vigilance ou pour prévenir une maladie (comme les vaccins et les antipaludéens), franchit la barrière corporelle et relève donc à strictement parler des techniques dites « invasives », mais tous ces produits ne posent pas pour autant de problèmes éthiques. D’un autre côté et inversement, il pourrait y avoir des techniques d’augmentation externes, donc en soi non invasives, qui posent des problèmes éthiques importants. Par conséquent, le franchissement de la barrière corporelle n’est pas un critère suffisant pour l’évaluation éthique des augmentations proposées.
“Pour simplifier, on peut dire qu’il y a l’armure d’un côté, dont ‘l’augmentation’ est acceptable, et la mutation génétique de l’autre, qui ne l’est pas”
Il faut donc des critères supplémentaires ?
Oui, d’autres critères doivent être pris en compte, au niveau individuel (les potentiels effets secondaires sur la santé physique et psychique du militaire, le risque de dépendance et d’addiction, la question du consentement, etc.) comme au niveau collectif, où il y a plusieurs sous-catégories : il y a des conséquences sociales, non seulement sur l’institution militaire (l’impact sur la cohésion de l’équipe de l’écart entre les soldats augmentés et ceux qui ne le sont pas, le risque d’émulation et de convoitise, etc.) mais aussi sur le reste de la société (la réintégration du militaire dans la vie civile, la potentielle importation dans le domaine civil de technologies militaires, etc.) ; et il y a aussi des conséquences humanitaires (si l’augmentation est susceptible d’affecter le respect du droit international humanitaire), voire en matière de droits humains (pour le cas d’augmentations susceptibles de violer le cadre juridique existant, la législation sur les expérimentations humaines par exemple). Bref, c’est un problème complexe et multidimensionnel, mêlant une multitude de critères. Mais une manière simple et pédagogique de le présenter au grand public, c’est effectivement de commencer par cette ligne de partage entre l’armure d’un côté, qui est acceptable, et la mutation génétique de l’autre, qui ne l’est pas.
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