Jean-Jacques Cadet : “Il faut se demander qui profite de la zombification moderne du peuple haïtien”
Assassinat du président, limogeage du chef du parquet… La démocratie haïtienne est gangrenée depuis des années par une instabilité structurelle. Éclairage du professeur de philosophie haïtien Jean-Jacques Cadet.
En juillet dernier, le président haïtien Jovenel Moïse était assassiné. Récemment, le chef du parquet de Port-au-Prince, Bed-Ford Claude, a été limogé par le Premier ministre, Ariel Henry. Le premier affirmait récemment avoir assez d’éléments pour inculper le second dans l’affaire de l’assassinat. Comment l’État haïtien en est-il venu à sombrer à ce point dans le chaos ?
Jean-Jacques Cadet : Cet État est rongé par son fonctionnement de classe : le pouvoir politique s’exerce au profit d’un groupe social dominant dont les intérêts s’opposent à ceux des masses populaires. L’État n’est pas au service de l’intérêt général, ce qui engendre d’incroyables frustrations sociales. Il agit même au détriment des besoins de la majorité silencieuse, dont la voix demeure inaudible. Le pouvoir politique se décrédibilise, en particulier à cause de dirigeants qui n’ont aucune légitimité légale et politique. M. Ariel Henry est un Premier ministre de facto qui été choisi par un président dont le mandat constitutionnel était arrivé à son terme. Le parlement, composé uniquement de neuf sénateurs, est dysfonctionnel depuis janvier 2020 à cause de la non-tenue des élections depuis 2016. Bref, nous assistons à une déliquescence de l’État qui passe par un détournement constant des institutions : la corruption systémique a envahi toutes les sphères de l’action publique.
Y a-t-il encore un État à Haïti ?
Il serait très exagéré de dire que l’État haïtien est inexistant. Il est, cependant, frappé d’instabilité. Face aux manifestations, l’État haïtien opte pour la violence afin de faire respecter, par les agents de l’ordre, le statu quo de la « police », pour paraphraser Jacques Rancière. Cette instabilité tient en partie à l’incapacité du pouvoir à répondre aux problème fondamentaux de la société. Mais en réalité, le levier central de déstabilisation vient du « dehors ». La communauté internationale demeure l’allié historique le plus fidèle de cet État toujours en crise. L’échec de l’État haïtien est de ce point de vue tributaire d’une conception formelle de la démocratie, qui fait des élections l’outil principal de résolution des problèmes sociaux, alors même que celles-ci entretiennent le pouvoir de dirigeants corrompus. Pour sortir de l’impasse, les dirigeants haïtiens doivent dépasser ce cadre formel et proposer de vraies politiques démocratiques prenant en compte les droits économiques et sociaux. C’est une nécessité pour moraliser l’espace politique et y faire place à l’idéal de la vie bonne.
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